Montjoye ! * Domaines de la noble et courageuse Maison de Montjoye * |
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| Fatras HRP de textes historiques | |
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Bastien
Messages : 26 Date d'inscription : 28/07/2011
| Sujet: Fatras HRP de textes historiques Mer 6 Juin - 15:18 | |
| 1°) Noblesse au XVe siècle Introduction :La noblesse, depuis son apparition dans l'Antiquité, a beaucoup évolué. Bien que représentant seulement 1 à 2 % de la population du royaume de France, la noblesse connait un pouvoir particulièrement important. Descendante directe de la chevalerie, la noblesse va connaitre à la fin de la période médiévale et notamment au XVe siècle, une mutation sans précédent. Ces changements vont intervenir plus précisément dans la composition de la classe nobiliaire. Cependant, la noblesse se définit par des caractéristiques propres. Dès lors, quelle définition pouvons-nous donner à la classe nobiliaire, dans le royaume de France au XVe siècle ? Pour répondre à cette question, nous verrons, dans un premier temps, qu'être noble revient, avant tout, au fait de paraitre noble. Puis, nous étudierons l'explication commune voulant que les privilèges de la classe nobiliaire soient issus de sa participation au service militaire auprès des rois. Enfin, dans une troisième partie, la question de la crise complexe qui touche la noblesse au XVe siècle. 1/ Naitre et Paraitre noble1.1/ La naissance et l'éducation Être noble c'est avant tout naitre de parents nobles. En effet, la coutume voulait que le sang transmette certaines valeurs, et plus particulièrement le courage et la bravoure dans le cas de la noblesse. De même que, l'héritage de ses valeurs et par conséquent de la noblesse se faisait par le père dans la majorité des cas ou plus exactement des régions. Il faut noter que ce n'était pas le cas partout dans le royaume, comme en Champagne, où la mère pouvait transmettre la noblesse (c'est ce que l'on appelle la noblesse par le ventre). Il est important pour la noblesse d'appartenir à une maison, une lignée généalogique. Cette famille est source de fierté, que ce soit dans la seigneurie ou à la cour. On remarque également l'importance donnée au nom, au blason, aux armes, parfois à la devise, liés à cette maison. Bref, la famille est un concept des plus importants pour la noblesse. Il faut, pour chaque membre qui la compose, contribuer au prestige et à la renommée de la maison toute entière. Ainsi, nous pouvons plus facilement comprendre la nécessité de l'utilisation du droit d'ainesse. En effet, lors du partage de l'héritage, afin de ne pas diviser le domaine et maintenir le prestige de sa maison, l'aîné pouvait prétendre à recevoir la plus grande part du domaine et des titres. Concernant le mariage noble, celui-ci unit le plus souvent deux personnes de même conditions sociale. Il est plus précoce que les unions entre non nobles. Cette précocité explique l'arrivée rapide des premiers enfants et par conséquent la forte natalité des familles nobles. Ainsi, le renouvellement de cette classe sociale est généralement assez facile en dehors d'épisodes particulier comme la guerre, la famine ou les épidémies. Il faut de plus ajouter que la légitimation des bâtards est fréquente et quelle permet elle aussi d'assurer le renouvellement démographique de la noblesse. Une seconde explication est parfois mise en avant dans l'explication de l'origine de la noblesse. Cette conception affirme que la naissance est une condition nécessaire mais pas suffisante. Un autre facteur entre en compte à savoir l'éducation. En effet, le jeune noble se doit d'être cultivé, dans l'optique de mieux porter les valeurs nobles. Cette éducation vise à faire de lui un bon chrétien dans un premier temps et, dans un second temps à le diriger vers une activité rentable. Ces dernières sont souvent de trois types : la clergie, la guerre ou le service honorable d'un seigneur, d'un prince ou d'un roi. Si l'on reprend la pensée d'Antoine de la Sale (un chroniqueur au service du comte de Provence puis du duc de Bourgogne, mort en 1462), deux carrières s'offrent au jeune noble, à savoir une carrière militaire et courtoise, et une carrière ecclésiastique et juridique. En effet, beaucoup de jeunes nobles sont dirigés vers la religion. Il s'agit le plus souvent des cadets qui ne peuvent prétendre à l'héritage des terres de certains titres du fait du droit d'ainesse déjà évoqué. 1.2/ Le genre de vie nobleNous venons de le voir, être noble c'est avant tout naitre noble. Mais, par la suite, la naissance ne peut suffire à maintenir la noblesse. Il faut pour chaque noble s'affirmer comme tel mais surtout être vu comme tel. Ainsi, on remarque l'émergence d'un nouveau concept : le fait de vivre noblement. Ce fait permet d'opérer une distinction nette avec les non-nobles, ce que l'on appelle la roture. Il existe donc une catégorisation des choses à faire ou à ne pas faire afin de répondre aux exigences de la vie noble.En premier lieu, le noble n'est pas libre de choisir son activité professionnelle. En effet, il doit selon la coutume vivre de ses rentes, des profits liés à la gestion et la culture de ses terres. Ainsi, certaines activités sont en inadéquations avec l'état de noblesse. Il s'agit par exemple du négoce (hormis le commerce en gros dans certaines régions) ou encore de la quasi-totalité des professions manuelles et en particulier la culture des champs. En second lieu, la noblesse doit se caractériser par un genre de vie rythmé par des activités quotidiennes particulières. En effet, celles-ci doivent permettre au noble, selon l'opinion commune, de vivre de façon oisive. Ainsi, au quotidien, un noble devait s'adonner à des activités courtoises telles que la chasse, la musique, les jeux. Cependant, il faut véritablement nuancer cette idée car il apparait comme évident que tous les nobles ne pouvaient pas suivre ce mode de vie. Enfin, la vie noble était particulièrement marquée par l'ostentation, de plus en plus en vogue à la fin de la période médiévale. La classe nobiliaire se devait de vivre dans des châteaux ou des manoirs dans lesquels elle organisait de somptueuses fêtes afin d'éblouir et fidéliser toute une clientèle. Mais l'exemple qui exprime le mieux l'ostentation de la noblesse reste l'habillement. Celui-ci se devait d'être riche et cher afin de se démarquer de la roture. En bref, le genre de vie noble ne répondait qu'à un seul impératif : maintenir les barrières sociales. Le noble, afin de tenir son rang, devait apparaitre comme tel. Vivre noblement permettait d'affirmer sa condition. Prenons l'exemple le plus courant pour illustrer ce fait : lors d'enquête menées auprès de la population, le noble correspondait, entre autres, à celui dont le mode de vie se rapprochait de la noblesse. Par conséquent, le fait de vivre noblement permettait deux choses : premièrement affirmer sa noblesse, mais également s'introduire dans cet état en se donnant une image noble et donc en étant vu comme tel. Nous venons de le voir, la noblesse tient son origine de la naissance et de l'éducation. Par la suite, il faut réussir à affirmer cette appartenance par un genre de vie particulier. La noblesse va donc chercher à maintenir des barrières sociales afin de renforcer la distinction entre la classe nobiliaire et la roture. Le noble doit apparaitre comme un modèle pour la société et ainsi prendre la direction du corps social. Ce fait est renforcé par sa participation au service armé. 2/ De la guerre aux privilèges 2.1/ L'idéal guerrierL'idéal guerrier constitue une autre définition de la noblesse. Il s'agit en effet de l'un des traits distinctifs de la classe nobiliaire. Ainsi, les nobles le rappellent régulièrement au roi comme ce fut le cas aux états généraux de Tours en 1484. La guerre définit l'aristocratie. Mais il faut comprendre que cet idéal guerrier peut se traduire sous deux formes : premièrement le service armé auprès du roi, et deuxièmement par la guerre privée à laquelle la noblesse s'adonne encore régulièrement. La guerre publique, la participation à l'ost constitue une valeur porteuse pour la noblesse. En effet, le dévouement militaire au service du roi est l'une des premières obligations que se donnent les nobles, en vertu du système féodal. Ainsi, les rois et les princes peuvent compter sur la noblesse dans la participation à l'effort de guerre, que ce soit par la présence physique ou encore par une participation financière. Cependant, on remarque que la semonce, la convocation à l'ost, est de moins en moins respectée. Ce fut le cas notamment lors de la semonce de 1421, sous Charles VI, où les absences sont nombreuses. Le roi menace alors directement la noblesse de réquisition de fiefs, de démantèlements de châteaux voire même de dérogeance. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Les défaites militaires françaises successives, le retard dans les versements des pensions mais aussi, nous le verrons plus tard, la baisse des rentes seigneuriales, constituent des freins importants pour la participation à la guerre. De plus, cette dernière nécessite de plus en plus d'argent. Les instruments de guerre doivent être améliorés, les batailles ont un coût de plus en plus important, en chevaux notamment. Ainsi, beaucoup de nobles préfèrent renoncer aux combats qui grèveraient leur budget. Un autre facteur peut également être pris en compte : la guerre correspond de moins en moins à l'idéal chevaleresque mis en avant par la noblesse. En effet, la bataille à cheval est de plus en plus dangereuse face aux archers anglais. Les nobles sont donc de plus en plus contraints de se battre à pied et ainsi, ils vont rejoindre et être mis au même niveau que les simples fantassins. Mais malgré tout, l'armée royale attire encore beaucoup de nobles et notamment l'armée permanente mise en place en 1449. En effet, la classe nobiliaire devient le cœur de l'armée en mutation, dont elle fournit les cadres. Le service militaire est encore un des aspects primordiaux du code d'honneur de la noblesse, et il constitue également une grande source de rémunération. Nous venons de voir la place de la noblesse dans l'ost royal mais il faut préciser qu'elle prend encore les armes en dehors du service royal. Des troupes, plus ou moins importantes, se constituent autour des nobles et se livrent à des pillages. Il arrive parfois que la royauté encourage ces actions, si elle y trouve son intérêt. Mais généralement, elle condamne cette violence gratuite. Ainsi, que se soit par le service au roi ou par la guerre, la noblesse continue à mettre en avant l'idéal chevaleresque. On remarque malgré tout une diminution, en proportion des adoubements. Concernant les organisations de tournois, elles ne diminuent pas de manière sensible mais on remarque qu'elles sont de plus en plus encadrées et sécurisées. 2.2/ Exemption fiscale et honneursLa participation au service militaire explique régulièrement l'exemption fiscale. La monarchie et la noblesse mettent en avant la notion d'impôt du sang. Ainsi, le roi fait comprendre à la noblesse qu'elle lui rend un service important du fait de sa participation à l'effort de guerre. Les nobles ne sont pas astreints à payer certains impôts et ils le rappellent à Louis XI en 1465. Ils sont par exemple exempts du paiement de la taille. Cependant, certains impôts indirects sont également concernés. En effet, les nobles ne sont pas soumis au paiement de taxes sur certains produits, comme les armes par exemple. Enfin, la noblesse est exemptée fiscalement sur la taxe de franc-fief et peuvent ainsi acheter librement des terres nobles. Mais attention, l'exemption fiscale pour la noblesse n'est pas totale. Plusieurs cas le prouvent : les amendes en cas de non présentation à l'ost, le paiement de rançons afin de libérer le suzerain, ou encore dans des cas extraordinaire de guerre mais les nobles sont aussi imposables dans certaines villes. La noblesse se caractérise également par certains pouvoirs et préséances. Ils ont par exemple leur propre représentation aux états généraux et provinciaux leur permettant ainsi de constituer un véritable groupe de pression. Mais ils ont aussi des places réservées sur certains bénéfices ecclésiastiques ou encore dans l'administration. En effet, les nobles estiment avoir une place privilégiée auprès du roi et notamment dans les grandes institutions. Ils le rappellent d'ailleurs au roi en 1410 au sujet de l'élection de la Chambre des Enquêtes et de la Chambre des Requêtes au Parlement de Paris. La noblesse bénéficie également de privilèges en matière judiciaire puisqu'ils portaient directement procès au tribunal du bailliage. Enfin, la noblesse pouvait prétendre à des privilèges plus honorifiques comme par exemple le droit de porter les armes en tous lieux, le droit de chasse (notamment après les mesures royales de restriction de ce droit). 3/ Le XVe siècle de la noblesse : entre extinction et renouvellement 3.1/ Vers une extinction de la noblesse ?La classe nobiliaire doit subir plusieurs crises à la fin de la période médiévale. Tout d'abord, elle dut surmonter une crise morale et identitaire au XIVe siècle, à la suite des défaites françaises successives dont les causes lui sont attribuées. Mais on remarque que cette crise est surmontée en quelques décennies. La crise qui intervient au XVe siècle prend quant a elle une toute autre forme. La noblesse subit les malheurs des temps que se soit de façon directe ou indirecte. En effet, bien qu'elle résiste mieux aux famines et parfois aux épidémies, la classe nobiliaire est particulièrement atteinte par les batailles qui la déciment. L'aristocratie est également atteinte par les répercussions des crises climatiques et épidémiques à l'origine de la dépression démographique. En effet, la main d’œuvre vient rapidement à manquer du fait de la mort ou de l'exode des populations. La gestion et la culture des terres deviennent de plus en plus difficiles. Afin d'attirer ou de maintenir la main d’œuvre, la noblesse augmente les salaires, mais elle diminue également les loyers. Ainsi, on remarque une chute importante des revenus fonciers pour une grande partie de l'aristocratie. Combiné à ce fait, les dépenses de la classe nobiliaire sont en hausse permanente afin de lui permettre de conserver son train de vie et par conséquent son rang. De même que l'armement pour la guerre ou les fortifications grèvent les budgets. Ainsi, les emprunts et les dettes se multiplient. La noblesse commence à perdre ses moyens et par conséquent son rôle de protection de la population qui, je le rappelle, justifient en partie ses privilèges. Plusieurs réponses sont apportées à cette crise de la noblesse : En premier lieu, beaucoup de nobles quittent leur seigneurie pour la ville où ils s'installent afin d'entrer dans le négoce, au risque de déroger à leur condition. Au contraire, d'autres familles vont tenter d'améliorer la gestion de leurs terres en s'appuyant sur la science des agronomes. Cette solution parvient à faire ses preuves mais elle est très onéreuse, c'est pourquoi seules les grandes familles nobles peuvent y recourir. D'autres vont tout simplement tenter de maintenir la culture de leurs terres par la force. Enfin, afin de sortir de cette crise, une grande partie de l'aristocratie va se rapprocher et demander la protection du roi ou d'un prince. En effet, ces derniers sont riches du fait des grandes rentrées fiscales en temps de guerre. La noblesse va donc se diriger vers l'armée permanente ou encore la bureaucratie. La classe nobiliaire va envahir l'appareil d'Etat car, en se dirigeant vers l'administration, elle parvient à retrouver le pouvoir et les richesses perdues dans la seigneurie en crise. Quoi qu'il en soit, on remarque une multiplication des cas de dérogeance, dans les couches les plus basses de la noblesse qui vont petit à petit glisser vers la roture. Des familles entières disparaissent que ce soit biologiquement ou économiquement. Il faut cependant faire attention car ces familles disparaissent des textes et nous pouvons imaginer que des regroupements de maisons se sont faits par des unions maritales permettant de maintenir le statut aristocratique de certaines familles. En effet, certaines ont su profiter de la crise afin d'étendre leur pouvoir et leurs richesses en rachetant des terres et en négociant des alliances. Malgré tout, les malheurs des temps ont frappé durement la classe nobiliaire. Des vides se sont formés dans toute cette frange de la population. Vides rapidement comblés par l'entrée de nouveaux nobles au XVe siècle, permettant ainsi un renouvellement de l'état de noblesse. 3.2/ L'apparition d'une nouvelle noblesseLe XVe siècle donne lieu à un phénomène nouveau à savoir une explosion du nombre d'hommes d'origine roturière dans l'administration. Ces derniers, généralement issus de la finance, du négoce ou du droit, sont le plus souvent dotés d'une formation très poussée mais également ils se caractérisent par un attachement particulièrement important vis-à-vis du roi. Ces officiers et ces légistes sont les principaux bénéficiaires des anoblissements. Cependant, il faut préciser seul le Prince à le pouvoir d'anoblir. Quoi qu'il en soit, cette arrivée de nouveaux nobles permet le renouvellement de la classe nobiliaire. La lettre d'anoblissement est la première voie d'accès officielle à l'état nobiliaire. Celles-ci sont sujettes à de nombreuses demandes mais peu sont accordées. En effet, entre 1380 et 1498, seules 1145 lettres sont délivrées par les rois de France. Ainsi, on remarque que seule une dizaine de lettres sont accordées par an, en moyenne, durant tout le XVe siècle. Les princes ont également anoblis en utilisant ce même système et ce en dépit du monopole royal. Par exemple, en Bretagne, au XVe siècle, on dénombre autour de 600 anoblissements de la part des ducs dans le but d'un renforcement de l'effectif militaire. En effet, le service à la guerre semble être la première cause d'anoblissement en comparaison aux services non militaires comme la finance ou l'université. Quoi qu'il en soit, les lettres de noblesses sont trop peu nombreuses et ne permettent pas d'expliquer le renouvellement de la classe nobiliaire. La détention d'un office permet, elle aussi, d'atteindre la noblesse. Seulement, seules les charges les plus importantes accordent la distinction nobiliaire. Cependant, même si tous les offices n'anoblissent pas, ils offrent tous les avantages de la noblesse, en raison des pensions qui leur sont attribués notamment et du genre de vie qu'ils permettent. On remarque paradoxalement que les détenteurs des offices ne recherchent pas toujours l'anoblissement. La raison est que celui impliquait la participation au service militaire et les rois n'en voyaient pas réellement la nécessité en ce qui concernait les hommes de la finance par exemple. Deux exceptions existent cependant : les sergents du roi ainsi que ses notaires et secrétaires sont considérés comme nobles en raison de leur fonction importante auprès du monarque. Depuis Charles V, la détention d'une magistrature communale est elle aussi une voie d'accès à la noblesse. Les rois ont, en effet, pris l'habitude d'anoblir les conseillers municipaux afin de récompenser leur fidélité ou encore, dans le but de les rallier à leur cause. Par exemple, les magistratures parisiennes anoblissent leurs détenteurs en 1372. Les maires de Poitiers sont anoblis en 1412, suivis par ses échevins en 1457. Le choix de ces villes n'est pas anodin puis qu'il s'agit des lieux de résidences du roi mais aussi du cœur de son administration. Ainsi, nait ce que l'on appelle la noblesse de clocher ou encore la noblesse de beffroi selon les régions. Enfin, il existe des cas d'anoblissements collectifs octroyés par les rois. Ce fut notamment le cas en Normandie en 1470 lorsque Louis XI anoblit tous les roturiers détenteurs de fiefs nobles en échange du versement d'une somme forfaitaire de 47 250 livres pour toute la région. Cependant, par la suite, le monarque imposait certaines conditions : il ne fallait pas pour ces nouveaux nobles dégrader l'image de la classe nobiliaire. Ils devaient par conséquent mener une vie noble, auquel cas, ils seraient de nouveaux astreints au paiement de la taille. Cet exemple confirme un fait voulant que depuis plusieurs décennies, des roturiers se sont attachés à paraitre noble. Ce en achetant des terres nobles puis en menant une vie riche afin d'introduire à la longue l'état de noblesse. Mais cette voie était ni aisée ni rapide. On le voit donc, la noblesse attire la roture et on dénombre plusieurs exemples où des bourgeois se décident à quitter leurs conditions, et notamment leur activité marchande, afin de s'attribuer, en l'imitant, la noblesse. Ils achètent des fiefs, vivent noblement, se lient matrimonialement à d'autres familles nobles, allant même parfois jusqu'à s'inventer une généalogie. C'est ce qu'Aurell appelle le «vieillissement artificiel de la noblesse». Évidemment cette arrivée massive de roturiers à l'intérieur de la classe nobiliaire a entrainé des tensions et des luttes vis-à-vis de l'ancienne noblesse. Les raisons de cet affrontements sont majoritairement matérielles et financières. La haute aristocratie voulant garder son pouvoir et ses richesses mais également le contrôle de l'appareil d’État. ConclusionEn conclusion, la noblesse se définit, nous l'avons vu, par des caractéristiques propres. Être noble, c'est avant tout naitre noble et recevoir une éducation adéquate. Ces deux éléments permettent d'opérer une première distinction entre la noblesse et la roture. Cependant, par la suite, la classe nobiliaire va s'efforcer à vivre de manière noble afin de renforcer ces barrières sociales et ainsi confirmer la suprématie de son statut dans la société. Mais la noblesse se caractérise également par des privilèges, des prééminences et des honneurs. Selon l'opinion commune, ces derniers trouvent leurs origines dans le service militaire à l'ost. Cette activité auprès du roi est considérée comme étant la fonction première de la noblesse. Plus généralement, nous l'avons vu, l'idéal chevaleresque est indissociable de la mentalité noble. Le tournant qui intervient au XVe siècle est particulièrement intéressant. A cette date, on assiste à une véritable mutation de la classe nobiliaire. Les malheurs des temps entrainent l'extinction d'une partie de la noblesse. Mais celle-ci se renouvelle au fur et à mesure, par l'arrivée de nouveaux nobles suite à la multiplication des anoblissements officiels et officieux. Ce couple extinction-renouvellement de la classe nobiliaire explique, en partie, la diversité de la noblesse, malgré une certaine unité affichée, liée aux autres caractéristiques générales que nous avons définies. Cette mutation au XVe siècle, par l'ouverture de la noblesse à la riche roture et aux talents marque le déclenchement d'un processus qui va se renforcer et se développer véritablement au XVIe siècle en France. Source : Travail de licence à Science-Po Rouen | |
| | | Bastien
Messages : 26 Date d'inscription : 28/07/2011
| Sujet: Re: Fatras HRP de textes historiques Sam 8 Sep - 15:26 | |
| 2°) Temps d'espoir, temps de crise Section 5 : Victoire et redressement de la royauté (1436-1498)Chapitre 2 : La victoire par la réformeVers l'armée permanenteLa réforme de l'armée, à laquelle Charles VII procède lors de la trêve, est certainement l'aspect le plus spectaculaire du redressement de l'autorité royale qui marque cette période. Le roi n'innove pas ; il renoue avec les principes de Charles V, que les désordres des années 1410-1440 avaient effacés. Charles VII n'a pas créé d'armée permanente : sa réforme répond à des besoins précis, exprimés par les États Généraux d'Orléans en 1439 : mettre fin à l'écorcherie ; rétablir l'ordre. Comment ? L'ordonnance du 2 novembre 1439 proclamait que la levée des troupes était un droit régalien. Les capitaines qui avaient participé au siège de Meaux, ré-équipés de neuf, et munis d'un à valoir d'un mois sur leur solde, furent envoyés tenir garnison en Normandie. Mais beaucoup désobéirent, encouragés par les princes qui le employaient aussi. Ce fut la Praguerie, et l'ordonnance fut oubliée. Après les trêves de Tours, le roi procéda autrement. En mai 1444, le dauphin Louis emmena tout ce qu'il put ramasser d'écorcheurs en Alsace pour lutter contre les cantons suisses rebelles à l'autorité du duc d'Autriche. Peu après, Charles VII rejoignit son beau-frère René d'Anjou, duc de Lorraine, pour l'aider contre le comte de Vaudémont et la ville de Metz. La cour royale s'installa à Nancy. Le dauphin battit les Suisses à Saint-Jacques de la Bisse, le 26 août 1444 ; durant l'hiver ses troupes se firent décimer dans des combats et embuscades en Alsace et Allemagne. Il rejoignit son père à Nancy au début de l'année 1445. La paix de Metz vint conclure les hostilités L'heure de la réforme avait sonné. L'ordonnance, perdue, doit dater de mars 1445. Elle fut complétée, le 26 mai, par celle de Loupy-le-châtel. On agit vite. Certains capitaines, qu'on avait pris soin de consulter et de rassurer sur leur sort, furent retenus ; ils choisirent alors les hommes devant composer leur compagnie. Les laissés pour compte furent absous de leur crimes par une lettre de rémission, puis ramenés dans leur pays d'origine, par petits paquets. Sans problèmes ou presque. 15 capitaines (en réalité 23) furent donc "ordonnés" par le roi pour diriger 15 compagnies d'ordonnance de 100 lances fournies chacune (la encore, les chiffres sont théoriques) ; une lance comprenait six hommes : l'homme d'armes en armure complète, deux archers montés, un valet et deux palefreniers-coutilliers. Tous avaient un cheval. L'armée de campagne du roi comprenait 1500 lances, soit 9000 hommes. Le chiffre monta à plus de 1900 lances lors de la reprise de la Normandie. En 1476 Louis XI de 2846 lances, réparties en 40 compagnies. Telle est la "grande ordonnance". Au moment de la conquête de la Normandie, la "petite ordonnance", ou "mortes payes", dont les membres étaient plus légèrement armés et moins payés,fut constituée pour tenir garnison dans les provinces conquises. Le logement et l'entretien de ces troupes incombaient aux villes. Très vite, la solde fut intégralement versée en argent. Les implications financières de la réforme provoquèrent une véritable mutation administrative. Toute la gestion administrative et financière (logement, solde) de cette armée "décentralisée" incombait aux officiers locaux, en particulier aux élus et aux receveurs. Ils avaient autorité sur les gens d'armes et faisaient des montres régulières. On doit à leur efficacité le succès de la réforme, née du besoin de contrôler les troupes indisciplinées, ait abouti au maintien d'une armée permanente en temps de paix. Thomas Basin, évêque de Lisieux et historien lucide de Charles VII et Louis XI, a bien saisi, pour s'en indigner, cette mutation fondamentale dans la genèse de l'état moderne. Un corps annexe d’Écossais, dévoué à la garde du roi, fut également créé : c'est la compagnie écossaise, que complètent les archers de la garde. Elle devint la compagnie des gentilshommes de l'Hôtel. Enfin, à la fin du siècle, le camp du roi rassemblait quelques troupes d'artillerie. L'obligation de service militaire fut cependant maintenue, sous la forme traditionnelle de la semonce des nobles, mais elle n'avait d'intérêt que pour les anoblis. Plus novatrice en revanche fut l'institution des franc-archers par l'ordonnance du 28 avril 1448. Les habitants du royaume devaient présenter un archer prêt et équipé pour 80 feux ; il devait s'entraîner une fois par semaine, moyennant quoi il était exempté (franc) de la taille. Inutile de préciser que le "franc-archer de Bagnolet" devint vite un personnage de farce ! La valeur militaire médiocre de ce corps fut mise en pleine lumière lors de la défaite de Guinegatte, devant Maximilien d'Autriche, en 1478. Tactique et armementCe qu'il est convenu d'appeler l'art de la guerre a connu au XVe siècle quelques innovations et le royaume de France, plongé dans la guerre de cent ans, en a expérimenté quelques-unes. Au Moyen Age, on le sait, la bataille est exceptionnelle ; les Anglais n'ont provoqué aucune des trois grandes dont ils sont sortis vainqueurs. Faire la guerre c'est piller, brûler, assiéger, faire prisonniers et rançonner les chevaliers, massacrer les piétons. Il y a des règles : le chevalier vaincu choisit son "capteur" ; celui-ci prend possession de son prisonnier en lui mettant la main sur la poitrine ; en 1428 le comte de Salisbury adoube l'écuyer qui l'a pris ; la garnison d'une place négocie sa reddition ; si, le 26 juin 1441, la garnison de Tartas n'avait pas été secourue par le roi de France, elle se serait rendue, avec les honneurs. Mais hors de ce monde chevaleresque il n'y a point de règles : Jeanne d'Arc et les "brigands" normands sont des irréguliers. Gascons et Français reniés de toutes sortes sont des traîtres. Au XVe siècle, toutefois, la bataille devient moins exceptionnelle. On peut la perdre sans perdre la guerre (Cravant, Verneuil, Patay). Elle ne suffit pas à gagner : Formigny et Castillon ne sont des victoires décisives que parce qu'elles s'inscrivent dans des campagnes longues et bien menées ; mais Montlhéry, en 1465, n'a rien tranché. La conquête méthodique, donc les coups de main et les sièges à répétition (la Normandie en 1417-1419 ou en 1450-1451) a remplacé la chevauchée destructrice mais stérile du siècle précédent. On comprend le rôle déterminant du capitaine aguerri et de sa compagnie d'écorcheurs, peu recommandables mais si efficaces. La guerre de mouvement reprend le dessus - dans la guerre de siège, où l'on évite le plus souvent de s'enliser en multipliant attaques surprises, échelades et assauts ; en rase campagne, où l'on cherche le contact avec l'ennemi. Pas question de laisser Kyriel s'enfermer dans une place forte en 1450 ; pas question de le laisser se retrancher sur une hauteur ; on le débusque à l'artillerie, on l'oblige à bouger et on le charge avec le contingent de réserve. A Castillon, Talbot a bougé (à pied), l'artillerie française l'a fixé, les cavaliers de l'ordonnance, démontés, l'ont retenu, et la réserve bretonne l'a achevé. La guerre n'étant jamais, selon le mot de Clausewitz, que la continuation de la politique par d'autres moyens, son dynamisme, à partir des années 1440, n'est que l'expression du dynamisme retrouvé de la société. L'artillerie à feu est la grande innovation du siècle. On la connaît depuis le début du XIVe ; les grosses bombardes d'alors étaient peu efficaces et n'avaient qu'une utilité défensive, notamment pour les villes (n'oublions pas que ce sont les artisans des villes, fondeurs de cloches ou autres, qui ont fabriqué et perfectionné ces engins). Le contrôle de l'artillerie royale du Louvre fit pourtant un enjeu entre le Dauphin et Etienne Marcel en 1358. La royauté avait établi un capitaine général des poudres dès 1354. En 1372, pour la première fois, l'artillerie à poudre est utilisée pour l'attaque d'une ville, mais elle ne devient réellement dangereuse pour les murailles qu'avec la généralisation des boulets de fer, en 1418, et la fabrication de pièces fondues d'un seul bloc. Les récits des chroniqueurs accordent une place de plus en plus importante à l'artillerie dans les sièges des années 1411-1440, à Orléans, à Compiègne, à Montereau. Le comte de Salisbury mourut "frappé par le visage d'un petit canon". La fixation sur affût mobile, en même temps que la miniaturisation relative à laquelle on parvient, rend son utilisation possible sur le champ de bataille. Mais on en discute encore le rôle dans ce milieu du XVe siècle. Les questions de logistique et de transport sont compliquées, et d'ailleurs lorsqu'on lève un siège, par son propre chef ou contraint par l'adversaire, on abandonne bombardes, canons, vins, bleds, vivres et autre marchandises (héraut Berry). Pourtant, l'intervention massive de l'artillerie a été décisive à Formigny et à Castillon : "Girault le canonier et ses assistens et compaignons drechèrent l'artillerie contre eulx, dont il les grava moult. Car à chascun cop en ruoit 5 ou 6 par terre tous mors (..) que par forche furent contraints d'eulx retraire." L'artillerie remplace l'archerie, mais, grâce à sa plus longue portée, elle permet des actions offensives. Charles VII confia aux frères Bureau l'organisation de son artillerie : Jean, ancien examinateur au Châtelet de Paris (la juridiction royale), fut le financier et l'administrateur ; Gaspard en fut le technicien, avec le titre de maître de l'artillerie de 1441 à sa mort, en 1469. Ils utilisèrent les compétences de canonniers étrangers, comme ce Girault ou Giribaut originaire de Gênes. Quant à l'infanterie "reine des batailles", elle n'aura de réalité qu'à la fin du siècle. Les innovateurs, ici, furent les Suisses. Leurs fantassins, armés d'une longue pique, disposés sur plusieurs rangs, étaient capables de s'arrêter pour former des carrés inexpugnables de plusieurs milliers d'hommes ou de se mouvoir, de manœuvrer et de charger (avec autant d'efficacité que la cavalerie de jadis) sans se débander. Après avoir infligé des défaites mémorables à Charles le Téméraire, le redoutable fantassin helvète va envahir toutes les armées d'Europe ; en 1476, Louis XI passe une convention avec les cantons confédérés pour en recruter. Chapitre 4 : Violence et ordre publicDe la violence à la criminalitéDe Normandie en Lyonnais, les historiens des campagnes ont relevé les beuveries dominicales et les rixes qui s'ensuivent, les larcins divers, les nombreux délits liés à la "paisson" des animaux égarés dans les champs du voisin, les fraudes et empiètements sur les propriétés, etc. Cela conduit parfois, comme en Lyonnais, à de véritables guerres de villages, poursuivies des décennies durant, alors que le motif en est depuis longtemps oublié. Bref, c'est "la guerre des boutons". Dans les villes aussi la violence est endémique, mais il ne faut pas prendre pour argent comptant la vision romantique de la "cour des miracles", d'un "ghetto" du crime et de la brutalité. Il y a tout au plus des quartiers chauds, comme le quartier du Temple à Paris. De la violence au crime il n'y a qu'un pas. Si l'on s'en tient aux coutumiers, les crimes sont passibles de la haute justice et sont passibles de la peine de mort ; ce sont généralement : l'homicide et le meurtre (qui se distingue par la traîtrise, le secret), le rapt, l'incendie volontaire et le viol. Certains incluent le vol dans la liste des crimes punis de mort et on verra que ce fut en effet un enjeu politique au tournant des XIVe et XVe siècles. Entendons-nous cependant : la plupart des cas de vol évoqués dans les documents judiciaires sont des peccadilles, relevant de la basse-justice, royale comme seigneuriale ; ils ne sont sanctionnés que d'amendes. Les crimes ainsi définis sont irrémissibles. En principe ! A la suite des études de B. Geremek, on a insisté sur l'existence de milieux criminogènes et sur le lien entre criminalité et marginalité. Faut-il voir dans le vagabondage par exemple un indice de criminalité ? Certes, encore en 1454-1455 qualifie-t-on les coquillards de Dijon de "compagnons oiseux et vagabonds". La crise a joué son rôle, bien sûr, jetant sur les routes et entassant dans les villes des ruraux en quête de sécurité ou de ressources, mais aussi des gens cherchant à profiter de la demande de la main d’œuvre et du haut niveau des salaires. Or en France (mais pas en Angleterre) le vagabondage a été traité en problème social, non en problème d'ordre public : le manque de bras dans les campagnes justifie que l'on chasse des villes pour les remettre au travail les désœuvrés. Ce n'est qu'en 1422 qu'une ordonnance traite la question en termes de danger pour l'ordre public (vols, maraudages). Pourtant le thème de l'inutilité sociale perdure : en 1493, la galère rédemptrice attend le vagabond expulsé de la ville. Comme la violence, le crime n'est donc pas l'apanage de catégories "marginales" spécifiques. L'infamie ne conduit pas tout droit à la marginalité, encore moins au crime. En cette fin de Moyen Age, le lépreux, le mendiant, qui reçoit l'aumône en des lieux précis et rituels, la prostituée surtout sont rejetés en paroles, mais intégrés dans les faits à la société, où ils exercent une fonction, nous le verrons. Si la marginalité ne conduit pas automatiquement au crime, l'inverse ne va-t-il pas de soi ? Pas d'avantage. Les criminels appréhendés par les lettres de rémission étudiées par C. Gauvard sont des gens comme tout le monde, ou presque, qui ont commis leur délit chez eux ou dans un lieu voisin, qui sont en partie protégés par leur parents et amis (ceux qui justement vont intervenir pour demander au roi la rémission du crime) ; ils sont nobles, bon bourgeois ou paysans. Le plus souvent il s'agit d'une rixe suivie d'homicide ou de viol. La rixe répond à l'injure et il s'agit toujours, et quelque soit la catégorie sociale, de venger son honneur. Dans le cas de viol, on ne constate aucune particularité suivant le milieu social, familial (célibataire ou marié) ou la classe d'âge. Sauf une, propre aux "jeunes" : le viol collectif, symbole rituel de la virilisation. On ne saurait oublier, enfin, que la société de la fin du Moyen Age est largement dominée par une classe sociale, la noblesse, dont le comportement et l'éthique ont longtemps été attentatoires à l'ordre public. Ont été ou sont encore ? La guerre privée n'a pas disparu, bien au contraire (il s'en livrait entre les propres conseillers de Charles VII !) ; elle est encore revendiquée comme privilège de la noblesse. La guerre, dira-t-on. Mais bien après sa fin on trouve encore des armées privées, qui n'hésitent pas, comme celle entretenue par la ville de Millau, à régler par la force une querelle avec Charles d'Armagnac (1465) ou le vicomte de Narbonne (1475). La répression du crimeLe crime est poursuivi est sanctionné. C'est l'affaire de la justice, ou plutôt des justices, puisque la justice royale a laissé subsister justices seigneuriales et justices d'église. Avant de juger il faut saisir les criminels ; or la plupart des bonnes villes sont incapables de mettre en place une véritable police. A Paris toutefois, le Châtelet, avec ses sergents et ses examinateurs, constitue une force de police (royale bien entendu) valable. De même en Normandie, le sergent est un officier territorial dont la tâche principale est le maintien de l'ordre ; le vicomte, parfois le bailli, viennent lui prêter main-forte pour "espier ou quérir larrons". Il existe donc, ici ou là, des structures policières. N'est-ce pas une idée reçue que de nier leur efficacité ? Certes les mailles du filet sont trop lâches, la corruption existe ; beaucoup de délinquants et criminels, protégés par leurs parents ou leurs amis, échappent aux poursuites, le mécanisme de la rémission le prouve. Pourtant les listes d'exploits et amendes que les assises des bailliages et les plaids des vicomtés de Normandie produisent avec régularité et abondance montrent au contraire qu'une multitude de délits, de violences, de crimes, sont réprimés. L'amende sanctionne des délits variés mais aussi des actes où le sang coule. Les peines corporelles, mutilation ou mort, sanctionnent les crimes. L'homicide simple est puni de mutilation ou de pendaison, mais le meurtrier est préalablement traîné sur une claie. Les femmes criminelles sont enfouies vivantes ou brûlées. Le faux monnayeur est bouilli. La décapitation n'est pas encore le privilège des nobles (dans les crimes de trahison) et le bourreau Capeluche - un expert ! -, condamné pour ses excès dans les violences de 1418, prit soin d'enseigner son successeur afin d'être décollé proprement. On ne condamne guère à la prison, du moins dans la justice laïque ; la prison est préventive ; ou alors elle abrite (deux jours, guère plus) le condamné à mort entre le jugement et le châtiment ; parfois elle remplace l'amende ; elle n'est de longue durée que pour l'étranger ou le soudard soumis à rançon. En somme, l'amende est de loin la sanction la plus fréquente ; la prison est rare et la peine de mort pas si répandue : le bailli d'Evreux dut refaire un gibet à Nonancourt, l'ancien, qui n'avait pas servi depuis longtemps, étant en ruines ; et le bailli de Caen dut aller faire emplette d'un beau chaudron de cuivre chez les dinandiers de Saint-Lô, pour bouillir un condamné. Le tableau peut sembler statique. En fait des évolutions sont en cours, que les troubles de la première moitié du XVe siècle ont bloquées ou masquées. Dès 1450 des innovations importantes vont modifier la pratique judiciaire. C'est un problème politique, que je réserve pour un paragraphe suivant. La canalisation de la violenceLa violence, dans la mesure où elle peut conduire au crime, n'échappe pas à la répression. Mais il est des violences tolérées, que l'on s'efforce de canaliser, selon une attitude constante au Moyen Age : la paix consiste moins à éradiquer la violence qu'à la contrôler. Tel est le cas de la violence sexuelle, dont J. Rossiaud écrit qu' "elle est une dimension normale, permanente de la vie urbaine" (ajoutons "et de la vie des campagnes"). Ce qui est en cause surtout, c'est le viol collectif pratiqué par un groupe d'âge précis, les "jeunes", rassemblés en bandes ou en "abbayes" de jeunesse. Ils s'en prennent aux femmes démunies (les servantes, les veuves) ; mais aussi, dans la mesure où le viol collectif est "une vengeance sociale" (J. Rossiaux), à la jeune femme d'un homme âgé, à la concubine d'un prêtre, etc. Le charivari organisé aux dépends de ces mêmes catégories est une version moins brutale de cette même pratique. Cette violence rituelle est largement tolérée. C’est « Nature » qui est invoquée par tous les théoriciens des mœurs de cette époque. Les abbayes de jeunesse ont pignon sur rue et contribuent par ailleurs à l’animation de la vie civique et sociale de la ville ; Mais les notables en craignent les débordements. Le bordel municipal, la « maison commune » qui accueille les « fillettes » ou filles communes, nait de cette tolérance et de cette crainte. Entre 1350 et 1450, un peu partout en France et en Europe s’ouvrent des bordels gérés par les autorités municipales ou royales. En 1445, Charles VII confirme la décision des consuls de Castelnaudary d’ouvrir une « maison ». Les consuls avaient exposé au roi « que la ville est assez grande et peuplée, et y affluent plusieurs jeunes hommes et serviteurs non mariez et aussi [la ville est] despourvuz de femmes ou fillettes publiques, au moins icelles femmes publiques qui y sont n’ont point d’ostel et maison expresse en laquelle elles doyvent estre trouvées et y demeurer toutes séparées des gens honnestes, ainsi que es d’autres villes de bonne police est accoustumé de faire, dont sordent aucunes foiz noises et inconvéniens… » Texte limpide. Il s’agit d’ordre public, et, sur le plan des mœurs, de faire la part des choses : « Nature » ira se défouler au bordel et laissera en paix les femmes des notables. Pour J. Rossiaud, la prostituée, -bien souvent une femme violée et devenue de ce fait une femme diffamée, n’est pas une marginale car elle assure une fonction (l’argument n’est pas nouveau, Aristote et Saint Augustin l’utilisaient). La « fille commune » est intégrée à l’espace public et familial (elle participe aux fêtes publiques et privées) ; et à la cour de Charles VII les « dames de joie » de l’Hôtel offrent au roi, en mai, le bouquet du renouveau. A la fin du XV siècle les choses changent. Dans l’esprit des autorités la prostitution est désormais liée au monde du crime. Comme le vagabondage, comme la mendicité. On ne se contente plus de canaliser ; on contrôle et on enferme. Le bordel devient maison close. La chambre criminelle du Parlement en 1473 ordonne une enquête contre les vagabonds pour mieux pouvoir sévir contre eux. Même l’Église devient centre de surveillance ; ce n’est pas à l’intention des démographes que les premiers registres paroissiaux ont été ouverts ! Changement de mentalité, sans doute, et d’abord de mentalité politique. Section 6 : La reconstruction de la FranceChapitre 3 : Une France qui innove, l'orologeur et l'imprimeurL'imprimerie, une grande invention médiévaleLa demande de livres, ralentie pendant la guerre, reprend de plus belle après 1450 ; la copie manuscrite, devenue pourtant rapide, ne peut satisfaire que la clientèle limitée des universités et des cours princières. Charles V, Jean de Berry, Philippe le bon ont collectionné de superbes manuscrits "historiés" (décorés) par les plus grands peintres du temps. L'usage du papier se répand au XIVe siècle, et des moulins à papier sont établis un peu partout. En 1473, on en connaît à Chartres et à Nogent-le-Roi, le long de l'Eure. Et l'inévitable jacques Coeur fut crédité de l'établissement de celui de Rochetaillée, près de Lyon. La généralisation de ce type de support fait baisser les prix : un livre en papier coûte, à surface égale, treize fois moins cher qu'un livre en parchemin, dans la seconde moitié du XVe siècle. Mais c'est la nouvelle technique de l'imprimerie qui va révolutionner le monde de l'édition et de la culture. On connaissait la xylographie, procédé rudimentaire d'impression à partir d'une planche de bois incisée de lettres et d'images ; elle a fourni aux prédicateurs ces images pieuses qu'ils ont répandues à profusion dans les campagnes. La mise au point par l'orfèvre mayençais Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg, du système des caractères mobiles et de la presse (peut-être à Strasbourg, où il est signalé en 1438) fut décisive, et aboutit, en 1450, à la première impression de la Bible. A partir de l'Allemagne, l'imprimerie, en trente ans, se répand dans toute l'Europe. En France, la première presse est installée dans la bibliothèque du collège de la Sorbonne par Guillaume Fichet, un Savoyard érudit et humaniste, et Jean Heynlin, un Allemand, avec l'objectif de produire des classiques de l'Antiquité. Mais l'initiative déborde bientôt le quartier latin : des imprimeurs - beaucoup sont allemands - s'installent à Paris et travaillent pour le compte d'éditeurs, dont le modèle fut Antoine Vérard. Lyon fut le deuxième grand centre de l'imprimerie en France ; les foires et une vie de relations intense facilitent la diffusion des innovations. L'initiative est partie des milieux marchands (rôle de Barthélémy Buyer par exemple) et elle aboutit à la création d'une véritable industrie du livre. La diffusion est rapide car il est facile de déplacer le matériel d'impression ; l'éditeur parisien Jean Dupré, premier éditeur de missels et autres livres religieux en France, transporte ses presses à Chartes pour y imprimer un missel commandé par le chapitre cathédral ; lui-même est en relations avec Venise. Le même chapitre chartrain passe des commandes à Jean Haman, un Allemand du Palatinat installé à Venise, puis à des imprimeurs allemands de Paris. On imprimait au Mans avant 1500 alors que la première presse ne fut installée qu'en 1545. Bien des villes de l'Ouest l'avaient devancée : Angers, Poitiers, Rennes, Rouen, etc. Si bien qu'en 1500 trente-six villes françaises disposaient de presses. Mais Paris et Lyon procuraient 80% des éditions et leur domination fut assurée pour longtemps. Le Royaume figurait au troisième rang, derrière l'Empire et l'Italie tant pour les lieux d'impression que (et surtout) pour le nombre d'éditions. On imprima d'abord les œuvres les plus connues, les plus diffusées déjà sous forme manuscrite, du Moyen Age : la Bible, les Quatre livres des sentences de Pierre Lombard, l’œuvre de Vincent de Beauvais (en 1475 à Strasbourg), l'histoire de la première croisade de Robert le moine (un des tout premiers livres imprimés à Paris en 1472). Dans le remarquable musée de la Banque et de l'Imprimerie de Lyon, un tableau représente les premières œuvres imprimées par la vingtaine d'éditeurs lyonnais de la fin du XVe et du début du XVIe siècle : tous les "best-sellers" du Moyen Age y figurent, parfois plusieurs fois. L'imprimerie eut très vite d'autres utilisateurs, car elle se révéla tout de suite un fameux moyen de transmettre les nouvelles : les ordonnances royales furent imprimées et diffusées, des lettres de propagande de toutes sortes sortirent des presses.Ironie de l'histoire, lorsque Charles VIII rompit la promesse de mariage qui le liait à Marguerite d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien, pour pouvoir épouser Anne de Bretagne, les ambassadeurs Allemands se plaignirent "des Français qui impriment des lettres qu'ils appellent instructions et informations, et qu'ils répandent par tout le royaume" pour faire connaître et justifier la nouvelle. L'avalanche luthérienne ne leur était pas encore tombée sur la tête ! La mesure du tempsC'en est fini, à notre époque, des heures à durée variable - douze heures de jour, douze heures de nuit, hiver comme été. On connaît encore les heures canoniales, (prime, tierce, etc.) dans les couvents notamment. Mais dans une lettre de rémission accordée au poète François Villon en 1456, celui-ci explique qu(il était "assis pour soy esbattre sur une pierre située soubz le cadran de l'oreloge Saint Benoist le bien tourné [...] et estoit environ l'eure de neuf heures". L'invention de l'horloge mécanique à échappement, capable non seulement de sonner les heures mais aussi de "garder le temps", remonte à la deuxième moitié du XIIIe siècle. Elle repose sur un mécanisme arrêt-départ, qui découpe le temps en battements réguliers , transmis, par l'alternance blocage-déblocage, à un indicateur visuel (cadran), ou auditif (sonnerie, cloches) ; ce mécanisme relâche ainsi régulièrement une énergie accumulée au moyen d'un système de poids ou d'un ressort. Les progrès réalisés en métallurgie, - l'usage du laiton qui permet des mécanismes plus fins, l'usage de l'acier pour le ressort -, ainsi que l'habilité croissante des spécialistes furent à l'origine d'une précision plus grande et d'une miniaturisation toujours plus poussée : à la fin du XVe siècle, les premières montres apparurent. L'usage de l'horloge mécanique se généralise à la fin du Moyen-Age sous deux formes, apparues presque en même temps : les grosses horloges publiques à cloches ; les horloges privées, plus petites et transportables (Charles V en possède une, fabriquée pour son aïeul, Philippe le bel), puis les montres. Chacun peut mesurer et donc disposer de son temps. Églises, beffrois des villes, tours des châteaux, s'équipent, à grands frais, d'horloges. En 13556, l'horloge du château royal de Perpignan est montée en neuf mois par les horlogers d'Avignon ; en 1379, un "orologeur" de Lille construit l'ghorloge du château de Nieppe, pour la comtesse de Bar, dame de Cassel. Charles V, toujours à l"affût des nouveautés, fait installer par le Lorraine Henri de Wic l'horloge du palais de la cité, qui orne encore la tour du quai de l'Horloge. Il y a eu deux périodes dans l'installation des grosses horloges publiques dans les villes de France : le dernier tiers du XIVe siècle à Bourges, Poitiers, Sens, Angers, Niort, Saint-Jean d'Angely, Saint-Flour, Rouen, Chartres, où l'on installe en 1392 une horloge "aussi comme celle du palays de Paris" ; la deuxième moitié du XVe siècle, après la guerre, naturellement, où de petites villes s’équipent alors, comme Châtellerault, la Rochelle, Saint-Maixent, Loches ; à Auxerre le comte de Nevers Jean de Bourgogne autorise en 1457 la construction d'une horloge publique ; les travaux s'étalent entre 1460 et 1463. Faute de pouvoir faire un tel investissement, les villes se contentaient d'horloges plus petites (à Chartres, à Auxerre avant la grosse horloge). A l'origine, l'horloger, souvent étranger, n'était guère spécialisé : il était aussi canonnier, plombier, comme ce Pierre Cudrifin, de Fribourg, qui construisit l'horloge de Romans en 1422 et devint ensuite premier canonnier du roi. Mais la spécialisation gagne : Etienne Plaisance, un Italien, installe à Chartres en 1400 une fabrique de petites horloges domestiques. Répandue et recherchée, l'horloge s'offre en cadeau ; le cardinal Pierre d'Ailly lègue une horloge valant dix écus à l'église de Compiègne, où il fut baptisé ; Elle est une prise de guerre : après la bataille de Roosebeke, la ville de Courtrai est pillée et brûlée, et "fut abattu l'orloge de la dite ville qui estoit le plus bel que on sceust nulle part" (partie inédite des Chroniques de Saint-Denis). Le duc de Bourgogne la fit remonter à Dijon. L'intérêt fondamental de cette mesure du temps, dans la vie quotidienne et dans les mentalités, a été souvent souligné. Le travail des mineurs de Pampailly est rythmé par une horloge garnie de cloches, comme le travail de l'artisan de la ville l'est par l'horloge du beffroi ou de l'église. Du reste, cette nouvelle mentalité , née de l'horloge mécanique, et qui consiste à refuser la soumission au temps naturel, pénètre les campagnes avant même que l'instrument "moderne" qu'est l'horloge n'y soit introduit : en 1393 les vignerons d'Auxerre refusent de travailler du lever au coucher du soleil, comme le voudraient leurs employeurs ; ils débrayent à l'heure de none sonnée par les cloches de la cathédrale, soit à trois heures de l'après-midi. Indiquons enfin que l'horloge connut aussi une utilisation militaire : c'est pour l'exactitude de son service de guet que la ville d'Auxerre fit l'achat, en 1411, de l'horloge à ressorts et à sonnerie qu'elle installa dans une église ; un peu plus tôt, en 1402-1405, la ville voisine de Chablis avait installé sur ses murs un "gros orloge" pour aider à l'organisation du guet. Chapitre 4 : Un retard culturel ?L'humanisme françaisEntendons par humanisme une attitude qui privilégie l'homme, qui exalte sa liberté par rapport aux autorités, qui le met en contact direct d’œuvres d'art ou de textes (et notamment ceux de l'Antiquité, le "modèle") ; une attitude marquée par un goût nouveau pour le "beau" et pour la nature (on a pu parler de la naissance alors d'un véritable sentiment de la nature). Croit-on vraiment qu'il a fallu attendre les guerres d'Italie, l'extrême fin du XVe siècle donc, pour que soit brutalement révélée une culture d'avant-garde ? Déjà sous Jean le bon et Charles V, certains lettrés firent un accueil chaleureux au grand François Pétrarque, installé à Avignon et venu à Paris en 1360 comme ambassadeur du pape. Une première génération humaniste apparut alors avec Pierre Bersuire ou Philippe de Vitry. Pétrarque fut sceptique et il polémiqua durement avec certains français, ironisant sur le style par trop barbare de leurs poètes et de leurs orateurs. Cette polémique entraîna une émulation fructueuse, les Français, dans le vif désir d'égaler les mettre italiens, se mettant à leur école. A Paris, le collège de Navarre, fondé en 1304 pour accueillir des étudiants d'origine champenoise, devint le foyer des humanités : l'on y apprit le beau style, l'on y enseigna la rhétorique, dédaignée par les programmes universitaires ; Jean Gerson, une des principales figures de l'Eglise de ce temps, fut formé dans ce collège. Avignon, même du temps du schisme, maintint le contact avec l'Italie. Un véritable cénacle se forma dans le milieu des chancelleries pontificale et royale : Jean Muret, familier de Clément VII et Benoît XIII, Nicolas de Clamanges, Jean de Montreuil ou les frères Col en furent les animateurs. Ne négligeons pas, enfin, le rôle, dans l'entourage de Louis d'Orléans, des Italiens : Ambrogio Migli, son secrétaire, par exemple. Se développe ainsi un humanisme français original, qui concilie la culture religieuse traditionnelle avec l'apport des œuvres de l'Antiquité classique païenne (Nicolas de Clamanges s'intéressa au grec). "Nationalistes", mais fervents admirateurs de l'Italie, nos humanistes échangent une correspondance assidue avec Coluccio Salutati, chancelier de Florence, ou Leonardo Bruni ; ils cherchent à retrouver la pureté du latin de Cicéron et demandent des modèles de lettres ; ils échangent des manuscrits ; ils collectionnent les œuvres de l'Antiquité. Ce foyer humaniste fut dispersé en 1418 : Jean de Montreuil fut victime des Bourguignons à Paris ; Muret et Clamanges se retirèrent. Leur influence ne disparut pas totalement, mais il faut bien dire qu'elle fut si ténue pendant les années 1420-1450 que le décalage par rapport à l'Italie, jusque là réduit, s'accrut fortement. Alors que le grec était enseigné sans discontinuer dans la péninsule depuis 1396, il fallut attendre 1458 - les timides tentatives de Clamanges n'ayant pas eu de suites - pour que l'université de Paris l'inscrive dans ses programmes. La production du livre manuscrit, principal support, avant l'imprimerie, des échanges d'idées, accusa un retard considérable sur l'Italie et l'Empire. Pourtant la reprise fut nette dès la fin de la guerre. Guillaume Fichet, bibliothécaire du collège de la Sorbonne, l'un des centres les plus huppés de l'enseignement de la théologie à l'université de Paris, y fit installer, on l' a vu, un atelier d'imprimerie. Héritier de la tradition scolastique et lecteur assidu des œuvres de l'Antiquité, il se sert des techniques nouvelles pour diffuser des idées nouvelles. Les deux premiers ouvrages qu'il fait imprimer sont les Lettres et L'orthographe d'un humaniste italien, Gasparino Barzizza de Bergame ; ensuite sortent des presses d'autres ouvres contemporaines et des textes de l'Antiquité (Cicéron avant tout, dont il regrette que plus personne ne le connaisse alors) qui, tous, ont trait à l'art du discours et du bien dire. Il publie ainsi sa propre Rhétorique, ouvrage dans lequel il rend hommage à Clamanges, nouant ainsi le dil qui le rattache au premier humanisme français. Il y eut décalage et retard. Il n'y eut point rupture. Le château françaisDans le domaine de l'architecture, civile et religieuse, la guerre a provoqué une coupure nette : on ne construit plus, on détruit. Il ne reste quasiment rien des résidences royales du temps de Charles V. Les grandes constructions princières des ducs de Berry ou d'Orléans (Pierrefonds, la Ferté-Milon, celle-ci inachevée) n'ont pas de suite dans la première moitié du XVe siècle. La reconstruction fut donc dans ce domaine particulièrement éclatante, et la France se transforma après 1450 en un immense chantier. Le château devient une résidence ; il garde du château-fort les effets verticaux : le donjon cantonné de quatre tours d'angle, la tour d'escalier hors d’œuvre, le chemin de ronde, mais ce dernier se fait promenoir. Les murs épais s'habillent de fenêtres et s'ornent de gâbles et de pignons, d'arcs et de moulures. Le type de manoir rectangulaire avec tour d'escalier hors d’œuvre séparant deux pièces s'adapte aux vastes et austères demeures de Langeais et du Plessis-Bourré comme aux petites résidences champêtres de Coulaines et de Baugé, ou encore aux hôtels urbains, dont la "maison" de Jacques Coeur à Bourges reste le modèle incomparable. L'architecture civile française devient suffisamment sûre d'elle-même, vers les années 1480, pour intégrer naturellement les apports italiens, sans perdre une miette de son originalité. Source : Nouvelle histoire de France, tome 5, par Alain Demurger | |
| | | Bastien
Messages : 26 Date d'inscription : 28/07/2011
| Sujet: Re: Fatras HRP de textes historiques Sam 8 Sep - 15:29 | |
| 3°) Temps d'espoir, temps de crise (suite) Section 7 : La France et les FrançaisChapitre 1 : Le pays et les gensLa France et ses limitesA la fin du XVe siècle, un Français cultivé sait que la Terre est une sphère. Les idées d'Aristote en la matière se sont imposées dès le XIIIe siècle à l'Université de Paris. Nicole Oresme, Pierre d'Ailly dans son Imago mundi de 1410 (ce texte, imprimé en 1480, eut les honneurs d'un commentaire critique de Christophe Colomb) ont popularisé cette conception. Gagner les Indes par l'ouest n'est pas inconcevable, d'autant plus que pour beaucoup (d'Ailly, Colomb) la surface des océans est plus réduite que ne le pensait Aristote. Malgré tout, nombre d'européens ne suivaient pas Mandeville, qui, dans un récit partiellement imaginaire écrit en 1366, admettait que les êtres humains pouvaient vivre aux antipodes sans tomber dans le ciel ! Mais les progrès des Portugais le long des côtes de l'Afrique équatoriale donnèrent raison à Mandeville et brisèrent la croyance que "l'excessive chaleur" empêchait la zone équatoriale d'être habitée. Les lettrés avaient parfois du mal à concilier ces vérités nouvelles avec les vérités de la foi chrétienne. Mais que pouvait penser de tout cela la France profonde ? Les rivages de la France étaient indiqués sur les cartes maritimes des Génois, Majorquins et Portugais mais aussi des Dieppois, sous une forme approximativement exacte. Charles V possédait une carte où figurait la France ; mais il n'y en eut de détaillées qu'à la fin du XVe siècle. Est-ce à dire que les Français éraient incapables de se représenter leur pays ? Le héraut Berry écrit, dans le Livre de la description des pays, qu'il y a vingt-deux journées de l’Écluse, en Flandre, à la Navarre, et seize de la pointe Saint-Mathieu à Lyon ; "et passe le fleuve de Loire par le milieu du royaume". Pour lui la limite des quatre rivières (Escaut, Meuse, Saône et Rhône) du traité de Verdun en 843 reste actuelle ; c'est toujours L’Escaut qui "départ le royaulme de l'Empire". Pourtant elle a bougé un peu à l'est et au sud, et surtout elle s'est "épaissie" (B. Guénée), devenant une limite politique, juridique, douanière, linguistique et militaire. La limite est devenue frontière. Le héraut Berry parle aussi des montagnes et des côtes qui bornent et protègent le pays. Au début du XVIe siècle, l'historiographe Paul Emile lance le premier l'idée des frontières naturelles et ressuscite pour l'occasion la Gaule et la frontière du Rhin. Conduisant les écorcheurs en Alsace, le dauphin Louis parlait déjà de "l'ancienne étendue [du royaume] qui estoit jusqu'au Rhin". Dans ce royaume que l'iconographie représentait comme un jardin entouré de palissades (il a été remarqué qu'on ne représentait jamais la frontière maritime), les Français savaient se situer. La tradition historiographique héritée du XIXe siècle a prétendu que le roi, ses officiers, ses sujets, en étaient incapables, perdus qu'ils étaient dans l'enchevêtrement de limites aussi vagues que changeantes. Changeantes c'est vrai ! mais toujours précises et connues. Dès 1271, le Parlement avait fixé, après enquête, les limites entre les bailliages de Berry et de Mâcon ; le tracé des limites des châtellenies lyonnaises, telles que l'indiquent les justiciables, est entériné par écrit au début du XIVe. On multiplierait facilement les exemples. La reconstruction des campagnes après 1450 fut aussi par le rétablissement des limites et des bornages. "Qui a donc pu prétendre que les Français du Moyen Age, ces paysans, n'avaient qu'une idée imprécise des limites territoriales ?" (J. Glénisson). L'ordre selon lequel les causes venues des juridictions bailliagères sont évoquées devant le Parlement (il s'agit du rôle des assignations) est rigoureusement géographique, du Vermandois au nord aux sénéchaussées du Languedoc et d'Aquitaine au sud. En entreprenant son voyage en Languedoc en 1389, Charles VI découvrait son royaume, mais il savait où il allait. Faute de cartes, messagers et chevaucheurs disposaient d'itinéraires précis. On utilisait également les récits de voyage et des représentations figurées. L'humanisme a fait naître le sentiment de nature et le goût du voyage. Pétrarque a raconté son ascension du mont Ventoux ; les frères Limbourg et Fouquet ont peint avec précision des paysages réels. Louis XI chargea deux peintres "de pourtraire le coste de Caux depuis le Chief de Caux jusques à Tancarville" ; et lorsqu'il fut question de percer un tunnel sous le col de la Traversette, dans le Queyras, il se fit expédier un "portrait de ladite montagne". Une France qui bougeGuerres, famines et épidémies ont jeté sur les routes des misérables à la recherche d'un lieu sûr, d'un travail, ou de quelques ressources ; des déracinés aussi, en quête des "gras profits" de la guerre. La paix revenue, la "bougeotte" des Français ne cessa pas. Le renouvellement rapide des patronymes dans les villes témoigne de l'importance des flux migratoires, une donnée fondamentale de la démographie urbaine de ce temps. Mais ce phénomène marque aussi le monde rural de la période de la reconstruction : Bretons et Saintongeais dans l'Entre-deux-Mers ; Limousins un peu partout, etc. N'imaginons pas seulement des déplacements forcés : la femme de Vincent de Murol va écouter le célèbre prédicateur valencien Vincent Ferrier à Clermont ; la tournée de celui-ci, dans le Massif Central, puis en Bretagne (il meurt à Vannes en 1419) mobilise des foules énormes. Au moment du procès de Jeanne d'Arc à Rouen, un "notable des parties de Lorraine", chargé par Pierre Cauchon d'enquêter sur la Pucelle à Donrémy, lie connaissance avec un habitant de Rouen originaire de Viéville-en-Bassigny ; plus tard, au procès de réhabilitation, un laboureur du pays de Jeanne vient dire qu'il a revu celle-ci à Reims, à l'occasion du sacre de Charles VII. Routes et chemins ne sont sans doute pas fameux mais ils ne sont jamais négligés, du moins en temps normal. Des associations pieuses rassemblent les legs consacrés à l'entretien des ponts. Le legs de 1000 francs d'un chevalier de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem permet la construction d'un pont sur l'Azergue, sur la route de Mâcon à Lyon en 1471. Le voyageur allemand Münzer remarque le pont couvert qui franchit la Loire à Amboise. On utilise beaucoup la voie d'eau. Le corps du roi René est transféré de Provence à Lyon par le Rhône ; de Lyon, sa dépouille gagne la Loire à Roanne, pour descendre le fleuve jusqu'à Ponts-de-Cé, près d'Angers. C'est ce même trajet, depuis Roanne, qu'empruntent les Suisses recrutés par Charles VIII pour la guerre de Bretagne. Descendre le Rhône est facile. En 1494, Münzer se rend de Lyon à Avignon en deux jours ; mais la remontée se fait par halage "au col", et il faut de 80 à 150 hommes, parfois 400, pour tirer les embarcations. Les bateaux de mer peuvent remonter la Garonne jusqu'à Toulouse ; mais gagner Rouen par l'estuaire de la Seine, sous la conduite des pilotes expérimentes de Quillebeuf, exige trois marées. La vitesse de circulation est à peu de choses prêt ce qu'elle était encore à l'aube du chemin de fer, au XIXe siècle. La transmission des nouvelles est rapide : Charles VII apprend à Angers le 29 juillet à huit heures du matin la nouvelle de la victoire de Saint-Aubin-du-Cormier survenue la veille ; sa mort, le 7 avril 1498, est connue le 12 à Milan, Ferrare et Florence, le chevaucheur ayant tué treize chevaux de poste. Un siècle plus tôt, cela était plus irrégulier : quinze jours pour faire connaître à Avignon la première crise de folie de Charles VI ; mais quatre jours pour que les Parisiens apprennent la mort de Clément VII. Marchands, voituriers et voyageurs cheminent plus lentement, mais une vingtaine de jours suffisent à un convoi de mules pour transporter des marchandises de Nîmes en Champagne ou à Paris. Jérôme Münzer, qui fait du tourisme, remonte de Toulouse à Paris par étapes de quarante à cinquante kilomètres par jour. Cela correspond à la distance moyenne parcourue par les messagers et chargés de mission de la ville de Saint-Flour lorsqu'ils vont en "Alvernhe", en "Fransa" (à Paris) ou en Langadoc.Pierre Delmas, qui fit le métier de courrier pendant seize ans, a parcouru 5100 kilomètres de mars 1378 à mars 1379 et il est allé cinq fois à Paris. En juin 1436, Bernard de Champaignac accomplit en cinq jours l'aller-retour de Saint-Flour à Saint-Pourçain, soit 342 kilomètres. Les officiers royaux sont amenés à "monter" fréquemment à Paris ou à rejoindre le roi pour les affaires de leur charge ;d'août à octobre 1367, le bailli d'Amiens Jean Barreau se rend quatre fois à Paris pour un procès : quelle que soit la durée de son séjour dans la capitale, le voyage Amiens-Paris demande deux jours, à l'aller comme au retour. Louis XI, sur le modèle de ce qui existait déjà en Dauphiné, mit en place un système de relais sur les grands itinéraires (Tours-Paris-Aras, Tours-Bordeaux, Tours-Lyon), non pas en 1464 (l'acte souvent invoqué est un faux) mais en 1479. Louis XI est passé à la postérité comme le créateur de la poste. Il faut s'entendre : il ne s'agit pas d'un service public de transmission du courrier (cela demeure l'affaire des chevaucheurs des villes, de l'Université, des grands établissements ecclésiastiques, bref, de particuliers), mais de l'installation, de sept lieues en sept lieues, de relais disposant de chevaux avec des chevaucheurs "assis en poste". La ville de Poitiers doit garder ouvertes jour et nuit deux portes de la ville pour que le chevaucheur du roi pusse pénétrer à tout moment. L'imprimerie, presque tout de suite utilisée par le gouvernement royal pour diffuser ses décisions, eut pour effet, en en multipliant les copies et les destinataires, d'accroître les déplacements des hommes. Il y a décidément beaucoup de monde, sur les routes du Moyen Age finissant ! Chapitre 2 : La France diverseLanguesLorsqu'il fit sa première entrée à Brive, Louis XI ne comprit pas un mot de ce que lui dirent les édiles locaux ; "les Français lorsqu'ils veulent dire oui disent oïl ; les Toulousains et toute la province disent oc pour oïl". L'unité linguistique de la France n'est pas réalisée encore, mais ne confondons pas les problèmes de la langue parlée et ceux de la langue écrite. Le latin, la langue de la Vulgate et des "autorités", permet aux gens instruits de communiquer sans difficulté d'un bout à l'autre de la Chrétienté. L’Université de Paris accueille sans problème les étudiants en théologie de tout l'Occident. Le 17 juillet 1427, le procureur du roi au Parlement de Paris riposte à un plaideur qui se prétend bachelier en décret (droit canon) que, comme "il n'entend et ne parle latin, il n'est mie vraisemblable que en l'estude de Paris on n'eust fait un tel bachelier en décret". Ne pas connaître le latin c'est être "illeteratus". Le Latin recule au XIVe et XVe siècles. Après 1350 la quasi totalité des ordonnances royales sont rédigées en Français. Lors de l'assemblée du clergé de France en 1398, le cardinal Simon de Cramaud s'exprime dans cette langue pour que les ducs comprennent ; en 1406, le Parlement demande aux universitaires en procès de plaider en français ; et c'est au nom du bien commun que Charles V fit traduire de nombreux textes. Le Latin vulgaire qui s'impose alors est le moyen Français des philologues. On en a fait une langue de transition (une transition de plus !), alors qu'elle présente des règles de fonctionnement complexes, certes, mais précises et ordonnées. Mais ce n'est qu'une des langues du royaume, qui est partagé en trois domaines linguistiques principaux : langue d'oc, langue d'oïl, et francoprovençal. A l'intérieur de ces trois domaines nous avons plusieurs scripta, ou langues écrites, ayant des traits dialectaux caractéristiques mais qui peuvent être lues et comprises dans l'ensemble de l'aire linguistique considérée. Ces scripta sont différentes des parler locaux, ou dialectes, dont l'ère de diffusion est plus réduite et les traits dialectaux plus accusés. Ces parlers locaux restent vivaces alors même que les différences entre scripta ont tendance à s'atténuer. La communication orale est donc plus difficile que la communication écrite. Citons la réplique de Jeanne d'Arc, interrogée à Poitiers par un clerc limousin qui lui demandait quel idiome parlaient ses voix : "meilleur que le tien". Ou encore ce reproche fait en parlement par un plaideur à un curé "qui est de pais de Limousin qui n'entend et ne scet parler français. Et conviendrait ses paroissiens confesser en limosin"! Il y a d'autres langues en France : le basque, le flamand et le breton, "un langaige que nul ne eulx [les Bretons] n'entant s'il ne l'aprant", nous dit naïvement le héraut Berry. La limite de la Bretagne bretonnante passait dix à vingt kilomètres plus à l'est que la ligne Sébillot, qui en marquait l'extension au XIXe siècle. Le breton était la langue des ruraux ; les villes étaient bilingues. Le processus d'unification de la langue s'amorce au cours de ces deux siècles. Les scripta locales s'effacent à l'intérieur des grandes aires linguistiques. En France du Nord, les scripta de Champagne, de Picardie, de Comté, de Lorraine, disparaissent au profit du "francien", la scripta parisienne; Dans le domaine francoprovençal, le latin fut remplacé, dans l'administration notamment, par le francoprovençal et des scripta très proches du français d'oïl. Car, c'est là un autre aspect de la question, le français d'oïl progresse dans les autres domaines : en Languedoc, la langue du nord, restée langue étrangère jusque vers 1450, se substitue à la langue d'oc entre 1450 et 1550. La langue maternelle devient une composante de la nation et l'idée se répand que tous ceux qui parlent le français doivent être rassemblés en un même État. La langue française fut parée de toutes les qualités : harmonie, douceur, etc (en revanche le flamand est une langue barbare, criarde, rude) ; on lui trouva une origine prestigieuse : le grec, puis la langue celtique. Les autorités royales n'imposèrent pas l'unification linguistique : en Languedoc, les officiers royaux utilisaient le plus souvent le latin pour se faire comprendre ; Jean le bon recommandait de traduire les actes dans la langue maternelle. En 1490 encore, Charles VIII ordonne de mener les procès en français ou en langue vulgaire. D'ailleurs le multilinguisme enrichit plus qu'il n'appauvrit un État, et on plaint les pauvres Anglais qui n'ont qu'une langue. Les progrès du français furent donc naturels, mais trois faits les ont encouragés. Le français (d'oïl) est devenu une langue de culture au même titre que le latin, grâce au développement de la prose française : épopées, romans, chroniques ; et les traductions des grandes œuvres latines, au temps de Charles V, ont enrichi la langue de nombreux néologismes. Le repli de la monarchie sur Bourges et Poitiers a certes contribué à "occitaniser" la monarchie, selon l'expression de C. Beaune, mais il a aussi favorisé l'usage du français dans le Midi, dans l'administration par exemple. Enfin, E. Leroy-Ladurie l'a dit sous forme de boutade, ce n'est pas Simon de Montfort qui a francisé le Midi, c'est Gutenberg. Les textes imprimés (à Lyon notamment) diffusés dans le Languedoc furent des textes français. Cela dit il faut attendre la fin du XVe siècle pour que la langue française soit, pour elle-même, objet d'études. Relevons pour finir que les préoccupations philologiques et rhétoriques des humanistes eurent pour effet de relancer l'étude du latin à la fin du XVe siècle ; un latin qui se voulait proche de Cicéron mais qui fut trop souvent cuistre et pédant ! La France coutumièreLes aires linguistiques recouvrent presque entièrement les aires coutumières : les pays de droit écrit sont ceux de l'aire occitane et francoprovençale ; en Languedoïl les aires dialectales correspondent à peu près aux familles de coutumes. La diversité des coutumes est un fait admis : une ordonnance du 8 mai 1408 demande qu'au Parlement "l'en y mette, se faire se peut, de tous les pays de notre royaume, pour ce que les coustumes sont diverses.." Ne forçons pas trop l'opposition entre pays de droit écrit et pays coutumier. Des coutumes existaient dans le Midi et elles ont offert une certaine résistance au droit romain ; les agents royaux ont paradoxalement favorisé ce dernier contre le particularisme des coutumes méridionales (alors que la royauté protégeait les coutumes du Nord). Le droit du Midi est "un droit coutumier à fonds romain" (Gazzaniga-Ourliac). Les sénéchaussées méridionales relèvent d'un auditoire de droit écrit, alors que le reste du pays obéit à la consuetudo gallicana. Cela ne signifie pas que les coutumes du Nord ne soient pas écrites : Philippe de Beaumanoir a rassemblé et rédigé les coutumes du Beauvaisis au XIIIe siècle, et ensuite la rédaction des coutumiers se généralise (le Grand coutumier de France de Jacques d'Ableiges, par exemple). Il s'agit, on l'a compris, de droit privé et, sans entrer dans le détail, je donne ici quelques exemples de la diversité des solutions apportées. L'âge de la majorité est fixé à quatorze ans pour les garçons, douze pour les filles à Paris et en Bretagne, à quinze ans pour les premiers en Beauvaisis, à vingt ans pour les deux sexes en Normandie. Les problèmes de succession occupent une place particulièrement importante dans le droit privé, coutumier ou pas ; en gros, coutumes d'oïl et droit écrit d'oc s'inscrivent dans une forte tradition individualiste et des tendances communautaires plus ou moins marquées. La coutume normande favorise le droit d'aînesse, mais pas celle de Bourgogne ; des solutions intermédiaires donnent le "principal" à l'aîné et la "légitime", une somme d'argent, aux cadets (Lyonnais). En Bretagne, pour la succession des fiefs, l'aîné est favorisé ; mais en cas d'absence d'héritier direct l'héritage est transmis intégralement à un lignage apparenté, qui doit relever le fief et le nom. Quand la coutume n'apportait pas de réponse au problème posé, on recourait au droit romain. De la sorte un droit commun à tout le royaume s'élabore peu à peu. Va-t-on vers une unification du droit romain coutumier, un peu comme la common law anglaise ? Non, la tentative faite en ce sens par Louis XI a échoué. Pour la comprendre, il faut remonter à l'ordonnance de Montil-lès-Tours de 1454, qui décidait de faire rédiger les coutumes (certaines l'étaient déjà). Le roi n'a de pouvoir législatif qu'en matière de droit public ; il ne peut intervenir dans le domaine du droit privé que de l'extérieur, par exemple en favorisant la rédaction des coutumes. L'objectif de l'ordonnance de 1454 était d'abréger les procès, les gens de loi abusant de la confusion pour faire durer les choses et augmenter leurs revenus aux dépends des justiciables. Les coutumes devaient être mises par écrit avec l'accord des praticiens du pays, puis examinées et confirmées par le Conseil du roi et le Parlement. Cela n'aboutit qu'en Touraine en 1461, en Anjou en 1462. Puis plus rien : il y eut l'hostilité des praticiens ; il y eut la décision de Louis XI de suspendre ce processus car il avait des ambitions plus hautes. Il voulait uniformiser le droit coutumier, de la même façon qu'il souhaitait unifier le système des poids et mesures dans le royaume.Là encore, il s'agissait d'éviter les "pilleries des avocats". Le 17 août 1481 (seulement !), il demanda aux baillis et sénéchaux qu'ils "faissent parvenir devers ledit seigneur toutes les coustumes, usages et stilles de leur bailliages pour en faire de toutes nouvelles qui seront toutes unes". Seuls les agents royaux intervenaient dans un premier temps ; puis la coutume unique, une fois rédigée, devait être soumise aux délégués des bonnes villes. Louis XI mourut avant que ce projet "technocratique" n'aboutisse, si tant est qu'il eut put aboutir. Trente ans avaient été perdus. On peut dire que Louis XI était en avance sur son temps ; on peut aussi soutenir qu'il ne comprenait pas son temps. Ses successeurs, moins ambitieux mais plus tenaces, reprirent le projet de rédaction des coutumes de 1454 et la procédure envisagée alors. Dès 1494-1496, les coutumes de Boulonnais, Ponthieu, Nivernais, Bourbonnais, étaient rédigées. Mais l'essentiel de l'effort intervint en 1505-1510. La rédaction des coutumes du Maine fut achevée le 6 octobre 1508 ; le président du Parlement de Paris vint alors au Mans. Il réunit les trois états, y lut le texte, et fit défense de se référer désormais à d'autres coutumes. Enfin, le 27 mars 1510, au Châtelet de Paris, devant 45 clercs, autant de nobles et 65 magistrats, praticiens et bourgeois, des modifications furent apportées au texte, dan un sens hostile à la noblesse, ce qui provoqua des heurts. Bref, une soixantaine de coutumes furent rédigées et trois cent "usements" locaux retenus. On put s'attaquer alors à la réforme des coutumes. La diversité des usages se nichait dans bien d'autres domaines. Ne retenons qu'un exemple, la datation. Dans toute une partie du royaume, l'année commençait à Pâques, dont la date est variable, ce qui posait bien des problèmes. C'était l'usage au Nord ; c'était l'usage de l'administration royale ; cela devint l'usage du Parlement de Toulouse. Or en Toulousain comme dans tout le Sud-Ouest, l'année commençait le 25 mars (c'est le style de l'Annonciation), et en Bas-Languedoc, en Provence, en Dauphiné, on usait du style de la Nativité (25 décembre). Pourtant, à l'image de ces représentations des mois sculptées sur nos cathédrales qui montrent, pour évoquer janvier, un Janus à double face, l'une tournée vers l'année écoulée, l'autre vers l'année nouvelle, tout le monde fêtait le nouvel an le premier janvier. Mais le droit n'a concordé avec le fait qu'en 1564 ! Chapitre 4 : Les Français et leur cultureLes écolesUne chose est sûre : le niveau culturel des Français a progressé, et l'intérêt pour l'éducation est devenu plus vif au court de ces deux siècles ; toutefois citer des chiffres serait hasardeux. Qu'entend-on par être cultivé ? Longtemps le latin distingua la minorité des gens instruits des "illettrés"; Des rois comme Charles V ou Charles VII le savaient fort bien ; mais déjà des princes présents à l'assemblée du clergé de France en 1398 ne le comprenaient plus. La capacité à lire et écrire le français devint désormais le critère fondamental ; à ce moment d'ailleurs les administrateurs, juges et avocats s'expriment (et écrivent) de plus en plus dans la langue vernaculaire. On peut affirmer que les curés de paroisse savent lire ; que les nobles sont instruits et que beaucoup savent signer. Une majorité des gens des villes sait lire, mais pas toujours écrire ; et bien des paysans ont acquis suffisamment d'instruction pour passer baux et contrats devant notaire. L'ascension sociale, la liberté, passent par l'instruction et l'on se vante de moins en moins de "ne savoir ni A ni B". Alors 10%, 15% de lisants et écrivants ? Cela semble peu, mais c'est considérable. L'opiniâtreté des synodes ecclésiastiques a porté ses fruits : le réseau des écoles de paroisse s'est densifié dans les campagnes, en Normandie, Champagne, Provence notamment, comme dans les villes : chaque paroisse de Reims a la sienne. Le curé, ou un maître (très rarement une maîtresse) payé par les parents, enseigne les rudiments aux enfants de huit à douze ans (on apprend à lire à partir de neuf ans). La scolarité se poursuit dans les écoles urbaines - Jean Jouvenel à Troyes, Jean Gerson à Reims. S'il a eu la chance d'être repéré, l'élève doué est accueilli dans l'un des nombreux collèges que les généreux mécènes ont fondé dans les villes universitaires. Les Champenois peuvent fréquenter, à Paris, le prestigieux collège de Navarre (Gerson y fut admis) ou le collège de Beauvais, dont le fondateur, le cardinal Jean de Dormans, avait également son village de Dormans d'une école élémentaire. Les couvents et le réseau serré des maisons des ordres mendiants délivrent aussi un enseignement. Enfin, beaucoup d'enfants nobles ont un maître particulier. On connaît l'enfance du futur maréchal Boucicaut. Lorsqu'il fut "un peu parcreus, la sage et bonne mère le fist aler à l'ecolle, et lui continua a y aler tant que elle l'ot avecques soy en ce temps de son enfance" ; il poursuivit son éducation à la cour avec le dauphin Charles (futur Charles VI), puisque, après avoir participé à sa première campagne militaire, "il fu derechef mis à l'escolle avec le daulphin comme devant, dont moult se trouva rouppieux", et cela jusqu'à douze ans. L'enseignement reposait avant tout sur la mémorisation et ne visait qu'un but : faire des élèves de bons chrétiens. Gerson, grand théologien, mais aussi remarquable pédagogue, insista beaucoup sur le lien entre le développement de l'instruction et la réforme de l’Église. L'UniversitéVient ensuite le temps des études universitaires, dont le cursus n'a pas changé depuis le XIIIe siècle : on commence par étudier les sept arts libéraux à la faculté des arts pendant six ou sept ans. Puis le bachelier ès arts entre dans l'une ou l'autre des facultés supérieures : droit (civil et canon), médecine et théologie. Les études y durent sept ans dans les premières, mais de douze à quatorze ans pour la dernière. A priori ouverte à tous, l'Université recrute de plus en plus parmi les nobles au cours du XVe siècle. En effet, elle forme les clercs, c'est traditionnel, et de plus en plus les serviteurs de l’État. Du coup la géographie universitaire française s'en est trouvée modifiée. Dès l'origine, la faculté de théologie de l'université de Paris avait vocation à former les clercs de l'ensemble de la chrétienté. On admettait comme une vérité historique l'idée de la translatio studii, le transfert d'Athènes à Rome, puis, au temps de Charlemagne, de Rome à Paris, de la capitale du savoir. Le grand schisme a été fatal au rayonnement de l'université de Paris ; du fait de la création de nouvelles universités à l'étranger, le recrutement de l'établissement parisien se rétrécit à la France du Nord. L’État comme l’Église ont besoin de juristes, formés au droit civil et au droit canon. Paris n'enseignait pas le droit civil. Les juristes du !nord se formaient aux "écoles" d'Orléans, connues depuis le XIIIe siècle. Les difficultés de la première moitié du XVe siècle furent surmontées, mais il est douteux que l'Université ait accueilli les 2000 étudiants que lui prête en 1495 le voyageur Jérôme Münzer. Dans le Midi, les théologiens de l'université de Toulouse se posent parfois en rivaux des Parisiens (au moment de la soustraction d'obédience en 1401 par exemple) ; à Montpellier, où une faculté de théologie est instituée en 1425, la faculté de médecine jouit d'une renommée internationale. Avignon dut à la présence de la papauté une université de premier plan. La transformations des écoles d'Angers en université en 1398 et les créations d'Aix-en-Provence en 1409, de Dole en 1422, de Nantes en 1460-1461 sont autant d'affirmations du pouvoir princier, tandis que la fondation quasi-simultanée des universités de Caen et Poitiers, en 1431-1432 est la conséquence de la division du royaume. Le roi, parfois, récompense une ville fidèle : Valence en 1452-1459 ; Bourges en 1464. Cette multiplication entraîne une régionalisation du recrutement, même pour des université prestigieuses comme Paris ou Toulouse. Un recensement des étudiants bretons en 1403 montre qu'ils vont à Paris, Angers et Orléans. La traditionnelle organisation des maîtres et étudiants en "nations" ne recouvre plus la géographie provinciale. L'empire de l’État a eu des conséquences fâcheuses quant aux franchises et libertés universitaires. Fini le temps où l'Université de Paris obtenait la condamnation du prévôt royal Hugues Aubriot, en 1381. A Orléans en 1447, à Paris en 1452, à Toulouse en 1470, les statuts furent réformés par des administrateurs royaux. En 1499, Louis XII brisa une grève des maîtres et écoliers parisiens, assimilant leur mouvement à un crime de lèse-majesté. Sur le plan intellectuel enfin, le prestige des universités est gravement affecté par la crise de la pensée scolastique. Le nominalisme, qui triomphe à partir de 1350 (date de la mort de Guillaume d'Ockam), rejette plus ou moins nettement la pensée thomiste, et sépare radicalement les domaines de la foi et de la raison. Or, si la foi échappe totalement à la connaissance rationnelle, c'en est fini de la théologie et des théologiens ! Car dans cette optique seule la Bible présente un intérêt, les commentaires étant rejetés. Aussi, faute d'un renouvellement des méthodes par la philologie et l'accès aux textes originaux (c'est l'apport de l'humanisme), l'enseignement sombre dans la routine et le formalisme. Le théologien frustré se turne alors vers l'action (c'est la tentation du politique) et cherche une tentation dans le mysticisme qui seul permet d'accéder à Dieu. Mais du coup la crise se déplace ; la sclérose de la théologie d'une part, le développement du droit et de la connaissance utilitaire de l'aurez éloignent de l'université la recherche pure et la pensée vivante. Ce sont désormais les collèges et les cercles humanistes qui enseignent la rhétorique, les belles-lettres, la philologie. N'exagérons pas cependant la rupture avec l'Université. Elle sait accueillir des pratiques nouvelles ; et puis il serait contradictoire de soutenir que l'Université a intégré en fait les collèges (voir celui de la Sorbonne), tout en lui refusant l'apport intellectuel de ces mêmes collèges. Les d'Ailly, Gerson et autres Fichet, purs produits des collèges, sont aussi des maîtres de l'Université. L'arbre scolastique ne doit pas cacher la forêt universitaire. Produire la cultureL'art d'écrire se répand grâce à la mise au point de la cursive gothique, qui permet de rédiger soi-même et vite. La technique de la pecia (on découpe un livre en cahiers, chacun de ceux-ci étant recopiés par un même copiste) accélère la reproduction et donc la diffusion des livres. De plus en plus les laïcs écrivent : de la poésie, de l'Histoire ou des récits de voyage. Citons Boucicaut qui "se print à faire balades rondeaulx, virelais, lais et complaintes d'amoureux", avant de composer, avec le sénéchal d'Eu, "l"un de ses compaignons au voyage d'Outremer", le livre des cent balades. Pierre de Beauveau, gouverneur de Provence, à moins que ce ne soit son frère Louis, a traduit de l'italien l'histoire de Troïlus et Cressida. Guillaume de Murol, petit noble auvergnat, écrivait des vers, dans un français mêlé de quelques expressions d'oc. Un fructueux marché du livre, manuscrit, puis imprimé, a fini par se développer, malgré la crise. Des libraires l'animent, qui font copier des textes ou publient des œuvres originales, comme le libraire parisien Couldrette, qui produit une adaptation en vers du roman de Mélusine, écrit par Jean d'Arras, à la fin du XIVe siècle. Les rois et les princes, Jean de Berry, Philippe le !bon et Charles le Téméraire, furent les mécènes de ce marché du beau livre et de l'art. A une échelle plus réduite, évidemment, nombreux sont les nobles qui achètent et collectionnent des livres. De même, plus on avance dans le XVe siècle et plus se multiplient, dans les églises, les livres liturgiques, et, dans les foyers, les missels, les livres d'heures, les "arts de bien mourir". Les emprunts de livres deviennent plus fréquents dans les bibliothèques des écoles : le mouvement des livres, qui sont classés par genre, est soigneusement noté dans les registres. La lecture elle-même évolue et devient silencieuse, ce qui introduit quelques novations fondamentales : on lit plus vite, on lit ce qu'on veut ; le lecteur s'enhardit, se réfère aux textes, compare ; en un mot, il s'affranchit des autorités. L'imprimerie a multiplié les livres pour un marché préparé à les recevoir; Cela explique la rapidité de la diffusion de la nouvelle technique. Éducation et apprentissageChristine de Pisan, le théologien Jean Gerson, le médecin Jacques Despars, d'autres encore ont porté une attention nouvelle à la petite enfance. Ils ont insisté sur l'importance de l'éducation des jeunes enfants et mis en valeur le rôle de la femme et de la famille dans celle-ci (les deux premiers, ne l'oublions pas, on pris part à la querelle du Nom de la Rose et dénoncé l'antiféminisme de celui-ci, contre les humanistes). Jacques Despars glissa, dans le commentaire qu'il fit du Canon d'Avicenne, quelques conseils sur la façon d'élever les petits : soins du corps, choix de la nourriture ; il recommande de ne pas les faire marcher trop tôt et d'utiliser un appareil de type trotte-bébé. Jacques Despars recommande d'utiliser le jeu comme moyen pédagogique en l'adaptant à l'état social présent et futur du jeune enfant : petits livres d'images ou petits instruments de travail pour l'enfant d'artisan, activités physiques formatrices pour le futur chevalier. On connait la toute première éducation militaire de Boucicaut : "il assembloit les enfants de son aage, puis aloit prendre et saisir certaine place comme une petite montaignete [...] puis faisaient assemblees comme par batailles, et aux enfans faisoit bacinés de leurs chapperons, et en guise de routes de gens d'armes, chevauchant les bastons et armez d'escorces de buche, les menoit gaigner quelque place les uns contre les autres." Lorsqu'il fut plus âgé, le jeune Boucicaut se soumit à un entraînement sportif et militaire intense, tout en suivant l'école. Puis vient le temps de l'adolescence qui, pour la majorité des jeunes, est celui de la préparation à l'entrée dans la vie active. Les manuels d'enseignement professionnels ne sont pas rares. Ce sont des "mathématiques" à l'usage des marchands comme ce Kadran aux marchands composé par un Marseillais en 1485, "qui sera guide, enseignement. à tous marchans de bien savoir compter" ; ou, dans un tout autre registre, ce manuel de bergerie que Charles V commanda à Jean de Brie, Le bon berger. L'entrée en apprentissage est la voie normale pour se former à un métier. Elle se fait le plus souvent tardivement, vers quinze-seize ans (exemples d'Orléans, de Toulouse), et la durée varie selon la technicité du travail. L'apprenti peut être placé au pair, payer son apprentissage, ou passer un contrat de "louage" et percevoir un salaire. L'accès de plus en plus difficile aux métiers (pour qui n'est pas fils de maître) réduisit les possibilités de placer des apprentis. La difficulté fut tournée par le développement d'associations clandestines de salariés, qui se chargeaient d'enseigner le métier et d'organiser des "tours de France" : une ordonnance de 1420 indique que "plusieurs compaignons et ouvriers de plusieurs langues et nations aloient et venoient de ville en ville pour apprendre, congnoistre, veoir et savoir les uns des autres...". Un exemple de plus de cette mobilité qui touche toutes les classes de la société à la fin du Moyen Age, et que les textes judiciaires tendant assimiler à du vagabondage. Chapitre 5 : La France et l'étrangerLes étrangers en FranceJusqu'au XIVe siècle, on ne connaissait que "l'aubain", venu d'ailleurs. Le mot "étranger" apparaît alors pour désigner celui qui est né en dehors du royaume. Là encore, l’État moderne a fait son œuvre. Il est impossible de donner le nombre des étrangers qui vivent dans le royaume. La guerre fausse tout, car elle augmente anormalement la proportion des hommes de guerre étrangers, amis ou ennemis. Les rois de France ont fait largement appel aux mercenaires écossais, italiens (arbalétriers et marins génois, hommes d'armes et piétons lombards) et castillans, puis, dans la deuxième moitié du XVe siècle, aux Suisses et aux Allemands. Certains se sont intégrés aux armées royales, surtout après la réforme de 1445, mais ça reste marginal. Quant aux envahisseurs anglais, ils sont nombreux à l'occasion des chevauchées, mais aussi dans les garnisons normandes ; sinon les troupes anglaises sont constituées pour une bonne part de Gascons. Des Anglais se fixèrent en France et s'y marièrent. Leur situation n'est pas simple : en 1375 un Anglais de Chartres, marié et vivant comme Français, fut tué. L'assassin fut poursuivi - il y avait eu crime -, mais acquitté, sa victime étant toujours réputée ennemie. En 1439, la place de Sainte-Suzanne, dans le Maine, est livré au roi de France par un Anglais marié à une Française. Quelques Anglais restèrent en France après la guerre, occupant parfois des postes dans l'administration, comme le bailli Richard Merbury. Venons-en maintenant aux étrangers établis en France de manière durable. Des artisans et des artistes d'abord, le plus souvent appelés d'Allemagne, des Pays-Bas ou d'Italie, en raison de leurs compétences techniques : mineurs, métallurgistes, horlogers, soyers, imprimeurs, peintres. Des commerçants ensuite, généralement regroupés dans des colonies privilégiées, dans les ports ou les grandes villes. Ils subissent les aléas de la politique étrangère de la France : la colonie anglaise de Paris fut poursuivie en 1358 ; la colonie castillane dut quitter Rouen quand la ville tomba aux mains des Anglais; Les brasseurs d'argent avaient une situation plus délicate. Les prêteurs sur gage ou à usure furent expulsés (les Juifs en 1394) ou, las des rebuffades, quittèrent Paris (les Lombards vers 1420). Les Lucquois en revanche (on connaît la famille des Rapondi) s'en sortaient mieux, tant qu'ils ne faisaient pas banqueroute ! Des clercs enfin. Disposant de beaucoup de bénéfices majeurs, la papauté d'Avignon ne se privait pas pour nommer des étrangers en France. Les progrès du gallicanisme ont en partie limité ces provisions, mais la division du royaume entre 1415 et 1450 a donné à nouveau l'occasion à la papauté d'imposer ses candidats, souvent des Italiens. Les étudiants étrangers, nombreux à Paris jusqu'au schisme, le sont beaucoup moins ensuite. Il en reste cependant, comme cet étudiant hongrois, poursuivi devant le Parlement par l'Université, et qui rappelle qu'il vient du pays qui a donné naissance à Saint Martin. Le retour à la paix ramène certains étudiants vers les universités françaises : Jérôme Münzer relève la présence d'Allemands du Sud à Orléans. Alors que les États-nations prenne la place de l'ancienne République chrétienne, comment les étrangers sont-ils accueillis par les Français ? Tenons compte évidemment de la guerre. Mais les mouvements de population qui ont affecté la France pendant le conflit, et surtout pendant la reconstruction, n'ont-ils pas favorisé l'accueil et l'intégration des étrangers ? Passons sur la "sagesse des nations". Nous trouvons à cette époque les mêmes stéréotypes que de nos jours. Les Anglais, les "godons" du langage populaire, sont déloyaux et vicieux ; ils tuent leurs rois !Les Allemands sont encore des barbares. Les Italiens sont fourbes, sorciers, etc. Les pires sont les plus proches : les Flamands, qui ne parlent pas le français ; les Bretons, qui, de tout temps, ont représenté l'abomination. Soyons justes, les Français ne s'oublient pas ! Certes, selon le chancelier Guillaume de Rochefort, leur vertu d'obéissance fait l'étonnement du monde. Mais ils sont orgueilleux, légers et, comme le dit si bien le héraut Berry, "saiges après le fait". A-delà de ces banalités, on peut affirmer que la France du Xe siècle n'a pas été hostiles aux étrangers, surtout la France euphorique de la reconstruction. La Provence du roi René connut une véritable résurrection par l'immigration italienne après 1450. N'est-ce pas une autre banalité que de constater qu'un pays qui a besoin de bras accueille et intègre facilement ses immigrés ? Aux États Généraux de 1484, le seigneur de la Roche, porte-parole de la noblesse, était même prêt à leur accorder le droit de vote : "J'appelle peuple non seulement la populace et ceux qui sont simplement sujets de cette couronne, mais encore tous les hommes de chaque état, tellement que sous la dénomination d'états généraux je comprend aussi les princes, sans en exclure le petit nombre d'étrangers qui résident dans le royaume". Mais on rejette certains groupes : les Juifs, les Lombards - d'autres ont un statut dégradé -, les esclaves domestiques des rivages méditerranéens, venus du Maghreb ou de la mer noire. Mentionnons enfin les Tsiganes, appelés aussi Bohémiens ou Sarrasins. Indo-européens, ils ont abouti, après une longue errance, dans le Péloponnèse. De là ils ont gagné les Balkans, la Bohême, et apparaissent en Savoie en 1419. Ils vont sillonner le royaume en petits groupes (on les vit à Paris) pendant un siècle, jusqu'à leur expulsion par François 1er. [/quote] "Ma nation et mon pays"Ainsi parlait de sa Bretagne natale Du Guesclin, connétable de France de Charles V. La naissance et le développement du sentiment national ont été l'un des thèmes favoris de l'historiographie française du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Charles Samaran, présentant en 1926 l'épisode du Grand ferré (1359), écrit, "C'est avec joie que nous pouvons assister ainsi à l'éveil du sentiment national dans le peuple de France". Mais c'est Jeanne d'Arc, sainte et patriote, qui est devenue la figure emblématique du sentiment national né des misères, des combats et des victoires de la guerre de Cent ans. Dans un souci de réévaluation, l'historiographie récente est tombée parfois dans l'excès inverse : le Grand ferré n'est plus qu'un faucheur de brigands ; les "brigands" normands ne sont plus des "résistants", etc. Pourtant il ne faut pas rabaisser trop ce "patriotisme du terroir" très affectif ; c'est ce sentiment qu'exprime Du Guesclin, mais il utilise pour cela un langage savant : "patrie", "nation". Le sentiment national est une notion plus intellectuelle, plus raisonnée, que l'attachement viscéral à un "pays" (de là sans doute le malentendu). Il s'est exprimé d'abord dans les textes d’intellectuels capables de donner un contenu moderne aux notions de patria et de natio. Relatant, avec un humour sceptique, l'épisode du Grand Ferré, Jean Favier écrit " Ferré tuait les Anglais parce qu'il voyait en eux les pires bandits, non parce qu'ils étaient anglais. Mais c'est bien comme Anglais que la légende immédiate définit les victimes du géant". Pour les historiens du temps qui racontent son histoire ("qui la conçurent" dit Jean Favier), Jean de Venette, Jean de Noyal, "il est aux raisons de son combat - et de sa gloire posthume - une nouvelle couleur, qui est nationale". Il me paraît néanmoins que, très tôt au XIVe siècle, le sentiment national a pénétré en profondeur la société française, sous l'influence du roi ("l’État a créé la nation", nous dit B. Guenée) et de la guerre. Les malheurs du roi Jean et la grande misère du royaume , l'effort conceptuel des "cerveaux" de Charles V et la reconquête ont été le moment décisif de la "naissance de la nation France". La réintégration des villes du Poitou dans la souveraineté française en 1372-1373 "a été ressentie comme essentielle et [...] mérite , comme telle, qu'on la considère avec attention dans l'histoire de la naissance d'un sentiment national" (R. Favreau). De nombreux textes le confirment. Parce qu'ils "sestoient renduz françois", les habitants de Limoges sont massacrés par le prince noir en 1370. Pierre du Tertre sert le roi de Navarre, y compris contre le roi de France, 'jassoit que ycelui maistre Pierre du Tertre fust nez du royaume de France". Le sentiment national est très vif dans les régions frontalières, comme le révèlent, au Parlement, les plaideurs venus de Tournai, enclave légitimiste en pays bourguignon, des "metttes" de Lorraine (Jeanne d'Arc) ou des marches de Bretagne ; des limites nettes ; une même langue ; être né du pays ; le droit du sol en somme ! Jeanne d'Arc n'a donc pas "créé" le sentiment national ; son engagement manifeste au contraire qu'il existait déjà. Bien sûr il s'est considérablement renforcé dans les dernières années de la guerre, qui devient une guerre de libération nationale. Dans Château-Landon prise par les troupes de Richemont en 1437, une partie de la garnison est pendue, "pour ce qu'ilz estoient de langue de France" ; deux ans plus tard, à Meaux, "furent prins et mors tous les Englois et François regniez". Les choses sont désormais claires, Orléans, Le Mans, Cherbourg fêtent leur libération ; et la royauté fait du 12 août (prise de Cherbourg, dernière place tenue par les Anglais en Normandie) une fête nationale. La nation France est devenue une personne, une femme douce et belle, vêtue de blanc, qu'on représente avec ses enfants dans les mystères. On invoque l'amour de la patrie, la défense de la patrie : selon Bernard Ciboulle, qui témoigne au procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, la guerre était juste car menée au nom de la défense de la patrie. Chemine enfin l'idée de mourir pour elle. Le sentiment national peut jouer contre la "nation France". Retenons deux phrases du récit fait par le religieux de Saint-Denis de la révolte flamande de 1382 : les Flamands, dit-il, décide de résister et de mourir pour la liberté de la patrie" ; après la défaite, un Flamand, blessé, est mis en demeure de reconnaître le roi de France ; il refuse : "j'étais, je suis et je serai toujours flamand" ; la nation flamande existait ; et les Français le savaient qui, bien avant l'acte officiel de 1526, avaient "sorti" du royaume ce peuple qui parlait une langue barbare. En 1328, une assemblée de barons avait rejeté un roi anglais qui pourtant l'était si peu ! Philippe de Mézières, sous Charles VI, disait "A la fin France sera France et Angleterre Angleterre, séparément, et est impossible qu'elles soient compatibles ensemble". Jean de Montreuil enfin affirmait qu'il n'y a de "vraye seigneurie sans le consentement des sujets". Il est difficile de dire si le sentiment national français s'est nourri du rayonnement de la France à l'étranger, rayonnement considérablement affaibli : les défaites sont sanctions divines et Dieu, c'est clair, a châtié le royaume des fleurs de lys. La langue française, devenue une langue de culture, est parlée en Italie, à Chypre, dans le royaume arménien de Cilicie comme une seconde langue ; la noblesse allemande l'apprend. Mais le français recule en Angleterre ; il devient une langue savante, utilisée encore en justice, dans la rédaction des lois, et pour laquelle on publie des grammaires et des manuels de vocabulaire. L'influence française se développe en Castille. Les traductions s'y multiplient ; Jeanne d'Arc devient la Poncella de Francia qui a libéré La Rochelle avec l'aide d'une flotte castillane ! On imite certaines institutions gouvernementales (le connétable de Castille). Sur ce plan, la maison de Bourgogne contribua aussi à diffuser dans les Pays-Bas des modèles français. Il n'est pas jusqu'au sport où les Français - qui l'eut cru !- ont beaucoup prêté : le "desport", la "paume", la "soule", sont partis pour l'Angleterre, qui les a renvoyés plus tard sous le nom de "sport", "tennis" et "football". Et l'on "compta fleurette" avant de "flirter" ! Source : Nouvelle histoire de France, tome 5, par Alain Demurger | |
| | | Bastien
Messages : 26 Date d'inscription : 28/07/2011
| Sujet: Re: Fatras HRP de textes historiques Sam 8 Sep - 15:34 | |
| 4°) Histoire de la chirurgie : Chapitre 4 : La renaissanceLa médecine arabo-musulmaneUne grande partie du monde oriental fut conquise par les arabes au VIe siècle. Le premier médecin arabe fut Al Thakefi, né à La Mecque à la fin du VIe siècle. Il est formé en Perse. Il est l'ami du Prophète. Il recommande en priorité l'usage des lavements et des ventouses, les médicaments n'étant utilisés qu'en dernier recours. Il s'intéresse à l'hygiène alimentaire et sexuelle. Au VIIIe siècle les musulmans se penchèrent de plus en plus sérieusement sur les problèmes médicaux. L'impulsion se fit à partir de l'école persane de Gundishapur, elle-même héritière de la médecine grecque. La ville, qui s'était rendue lors de l'invasion, ne fit ni détruite, ni pillée, et son hôpital fut préservé, ce qui n'était pas fréquent. Les souverains de l'Islam s'installèrent à Bagdad, qui devint un centre intellectuel florissant. La "maison de la sagesse", où sont produits l'essentiel des ouvrages médicaux de l'époque, fut fondée en 832. Certes les premiers médecins de l'islam sont d'origine persane, mais ils parlent, lisent, écrivent en arabe, langue des érudits du Moyen-Age. Ces médecins traduisent, compilent et commentent les textes grecs, en y ajoutant des productions originales. C'est ainsi que les œuvres de Galien parvinrent en Occident, lorsque les croisés les ramenèrent, au XIIe siècle, ce qui permit aux Occidentaux à leur tour d'honorer la culture grecque. Al Rhazi (865-925) fut l'un des médecins orientaux les plus réputés. Sa médecine relève du simple bon sens. Il prône une thérapeutique douce, une nourriture saine et une vie calme. Sans connaître l'existence des microbes, il préconise des principes d'hygiène très en avance sur son temps. Le Calife lui demande un jour de choisir dans Bagdad un emplacement pour y construire un nouvel hôpital. Avant de se décider, Al Rhazi suspend des morceaux de viande dans divers endroits de la ville, et propose l'endroit où la viande se putréfie le moins rapidement. C'est là que l'hôpital fut construit et il en devint le chef. Mais un autre musulman persan de langue arabe allait le surpasser. Avicenne (980-1037), appelé "le prince des savants" par ses contemporains, est encore considéré comme un des plus grands esprits de tous les temps. Son œuvre majeure, "le canon de la médecine" est une véritable encyclopédie de toutes les maladies et de leurs traitements. Aucun ouvrage n'a été autant lu, traduit, et commenté. Jusqu'au XVIIe siècle ce fut la référence dans le domaine de la science médicale dans les universités orientales et européennes. On lui attribue d'avoir décelé la nature contagieuse de plusieurs maladies, dont la tuberculose, e que l'eau et le sol pouvaient propager des maux. Il s'intéresse au cancer, et donne des indications pour son traitement. Il recommande d'opérer dès l'apparition du mal, en procédant à l'ablation de la totalité de la lésion, seul espoir de guérison d'après lui. Il mourut d'une "crise intestinale, qu'il voulut soigner lui-même, contractée suit à un excès de travail et de plaisir". Son œuvre se situe au carrefour de la pensée orientale et occidentale. Les médecins islamiques contribuèrent également à développer l'art de la chirurgie, bien que considérée comme une branche mineure de la médecine. La chirurgie fut sortie de l'oubli par les travaux du médecin espagnol Albucasis (936-1013). Médecin personnel du calife de Cordoue, son traité "la Pratique" est considéré comme le sommet de la chirurgie médiévale. Son livre est illustré d'une multitude de croquis anatomiques avec description des techniques opératoires. Pourtant l'islam, ainsi que le christianisme, proscrivait la dissection humaine. Mais la précision de ses planches anatomiques est telle qu'on peut se demander s'il n'avait pas enfreint cette interdiction. Il considérait peut-être que la loi ne s'appliquait pas au corps d'un "infidèle" ! Les médecins musulmans, très adroits, réalisèrent des interventions complexes, sur le crâne, les vaisseaux sanguins et l’œil. Ils mirent au point une technique ingénieuse pour traiter la cataracte, en se servant d'un tube pour aspirer le cristallin. Ils pratiquaient la chirurgie des amputations, de l'abdomen et de la vessie. Ils traitaient les caries dentaires et posaient des prothèses en os. Pour réaliser leurs opérations, leurs patients étaient "anesthésiés" avec un mélange d'opium et de vin. Avant de pouvoir pratiquer la chirurgie, le postulant devait démontrer ses connaissances théoriques, en particulier anatomiques, avant d'obtenir le diplôme sans lequel il ne pouvait exercer. Les hôpitaux étaient modernes. Ils comportaient des services affectés aux différents types de maladies. Les patients atteints de maladies infectieuses comme la variole étaient isolés. L'infirmerie traitait les blessés légers, les plus graves étaient dirigés vers des services spécialisés. Les médecins faisaient régulièrement la visite des malades. Les hôpitaux étaient ouvertes à tous, les soins ainsi que la nourriture étaient gratuits. Tout hôpital avait une bibliothèque. Averroès (1128-1198), brillant médecin d'origine espagnole écrivit un serment médical osant les principes d'éthique : la "prière du médecin". A cette époque la médecine arabe écrasait la médecine occidentale quasiment inexistante. La médecine occidentaleAu XIe siècle une première école de médecine s'ouvre à Salerne en Italie et institue un diplôme pour pouvoir exercer la médecine. Le médecin traducteur Constantin l'africain traduit les textes arabes en latin. Si bien que les textes d'Hippocrate, de Galien, d'Alexandrie, parviennent en Europe, mais ils ne servent d'appui que pour être cités, souvent mal à propos, pour alimenter des querelles empiriques ou dogmatiques. Les manuscrits d'alors sont empreints de mysticisme, voire de cruauté. Pour l'homme du Moyen Age seul Dieu ou Satan sont maîtres de la maladie, ainsi fait-on appel à ceux qui possèdent des connaissances surnaturelles, tel l'astrologue ou l'alchimiste. On ne fait confiance qu'aux pommades et aux formules magiques, mais lorsque la pratique n'apparait pas d'inspiration divine, c'est qu'elle provient du Diable et cela peut conduire au bûcher. La chirurgie est considérée comme une pratique barbare condamnée par l'église. Au concile de Tours en 1163 l'église "abhorre le sang". La dissection des cadavres humains est strictement interdite. Sous le contrôle de médecins, qui parlent latin, appartenant à l'église, les barbiers-chirurgiens, le plus souvent illettrés, pratiquent la petite chirurgie, exerçant parfois en nomades. Ils rasent, coupent les cheveux, ouvrent les abcès superficiels, saignent, appliquent les ventouses, pansent les plaies le plus souvent faites à l'arme blanche. Le statut social des chirurgiens est très inférieur à celui des médecins. Des universités éclosent à Bologne, Padoue, Montpellier, et commencent à mettre en doute les théories chirurgicales d'Hippocrate et de Galien. Ils recommencent les dissections de corps humains, préconisent l'endormissement du patient avant l'opération. Ils recommandent que les plaies soient nettoyées, asséchées et refermées le plus tôt possible. Auparavant on laissait le pus s'y former pour obtenir la guérison. Mais à Paris, si la création de l'université produit un bouleversement de l'art médical, l'enseignement devient de plus en plus théorique et scolastique, et les médecins prennent de plus en plus le pas sur les chirurgiens. On ne peut pas exercer sans diplômes. Le pouvoir de l'université est grand, c'est l'état dans l'état, ses membres dépendant du pape, elle est donc fermée aux femmes, qui garderont cependant une place dans les soins donnés aux malades : elles se feront infirmières et "ventrières", c'est à dire sages-femmes. Le concile de Latran interdit en 1214 aux prêtres de "verser le sang". Louis IX, dit Saint Louis de France, permettra la mise en place de la confrérie de Saint Côme et Saint Damien, qui distingue la profession de chirurgien de celle de barbier. C'est la première association professionnelle des chirurgiens en France. On distingue les chirurgiens de robe longue et les chirurgiens de robe courte, autrement dit les barbiers, qui dont chargés d'opérations mineures. Cette confrérie sera longtemps ennemie de l'université, et en même temps ambitieuse de s'y rattacher. En 1437 elle obtiendra le droit de suivre les cours à l'université, mais sera dissoute sous Louis XV quand il créera l'académie royale de médecine. Gui de Chauliac (1298-1368), médecin des Papes, est sans doute le plus grand chirurgien du Moyen Age. Il a appris le latin auprès du curé, l'anatomie à Toulouse, et rejoint l'université de Montpellier, puis celle de Bologne et de paris, où il étudie la médecine et non la chirurgie. Le pape Clément VI, qu'il trépanera avec succès (!) autorise la dissection publique des pestiférés, il parfait ainsi ses connaissances anatomiques. En 1363, il publie "la grande chirurgie", un ouvrage qui sera traduit dans toutes les langues et sera une référence jusqu'au XVIIIe siècle. Il s'agit d'une compilation des auteurs grecs et arabes, des maîtres de Salerne et des chirurgiens de Bologne. L'étude de la chirurgie comprend trois parties. "La première, savoir es lieux du sujet, c'est-à-dire l'anatomie. La seconde, savoir amener la fin requise aux lieux du sujet e rechercher la cause qui donnera l'indication curative. Et il décrit les différentes maladies. La troisième partie, savoir les instruments avec lesquels on peut amener la fin requise au lieux du sujet, c'est-à-dire le moyen employé pour guérir." Il met en annexe l'ouvrage d'Albucasis. Il dira "c'est chose sainte et digne d'honorer en premier lieu la vérité". Il a su mettre la chirurgie "à la portée des chirurgiens" et il a révolutionné l'esprit médical de son temps. En 1311, Philippe le Bel "ayant appris que nombre de nations étrangères et divers états, meurtriers, larrons, faux monnayeurs, espions, voleurs, abuseurs, arquemistes, et usuriers, se mêlent de pratiquer la chirurgie, dans notre ville et le vicomté de Paris, comme s'ils avaient subi un examen suffisant et prêté serment, mettent bannières à leurs fenêtres comme de vrais chirurgiens, pansent et visitent les blessés à diverses reprises dans les églises et les lieux privilégiés, soit afin d'en extorquer de l'argent, soit pour servir de prétexte à leurs mauvais dessins", promulguera une ordonnance royale : "nous ordonnons par le présent édit qu'aucun chirurgien ou chirurgienne (éphémère égalité des sexes !) n'exercera en aucune façon la chirurgie, s'ils n'ont été au préalable diligemment examinés et approuvés par les chirurgiens jurés demeurant à Paris". En 1352, le roi Jean confirmera aux maitres de Saint Côme, chirurgiens jurés, le privilège de faire passer les examens, mais "tout apprenti doit apprendre le latin, être beau et bien formé" ! Chapitre 4 : La renaissanceAux XVe et XVIe siècles l'influence de la culture antique est remise à l'honneur. La France sera "contaminée" après les campagnes d'Italie de François 1er. La rénovation fut facilitée par la découverte de l'imprimerie, qui permit de vulgariser les génies de l'Antiquité. La renaissance va avoir un heureux effet sur la chirurgie. L'esprit critique réapparaît, insufflant un ardent désir de savoir, alors que les médecins restent plongés dans leurs querelles dogmatiques. Mais ce renouveau se fera par le biais de l'anatomie. Cruveilhier, médecin anatomiste (1791-1874) dire plus tard : "l'anatomie est pour le chirurgien ce qu'est la carte pour le voyageur". Les dissections avaient été interdites pendant un millénaire. Elles reprennent avec Léonard de Vinci qui réalise des dessins anatomiques remarquables, malheureusement son travail, dont la plus grande partie a été perdue, n'aura que peu d'importance sur ses contemporains. Ambroise Paré (1510-1590) est le chirurgien le plus marquant de cette époque, le "père de la chirurgie moderne", mais les recherches en paternité ne se faisaient pas encore ! C'est le chirurgien des champs de bataille, "toute blessure, toute lésion l'émeut, le retient, l'inspire". Contrairement aux armes blanches qui traversent la peau et les muscles sans trop endommager les nerfs et les vaisseaux qui roulent souvent sous la lame, les arquebuses et "bâtons à feu" entraînent des plaies délabrantes, et les lésions sont vite responsables de gangrène, on accuse alors la poudre d'être empoisonnée, si bien que les amputations vont se développer dans les techniques chirurgicales. Il remplace l'huile de sambuc bouillante, que l'on jetait cruellement sur les plaies pour les cautériser, par un baume fait de jaune d'oeuf, d'huile de rose et de térébenthine. Il supplante ainsi la recette magique d'un célèbre thérapeute de Turin qui faisait bouillir dans l'huile de lys des petits chiens nouveau-nés, mêlés à des vers de terre, qu'il mélangeait ensuite avec de la térébenthine de Venise. En présence d'un blessé qui avait eu la cuisse fracassée par un boulet, contraint de ne pas cautériser, car il avait épuisé ses ingrédients, il bouleverses une pratique atroce, en ligaturant les vaisseaux avant d'amputer. Il faisait toujours un compte-rendu de ses interventions, il note simplement : "l'amputation fuit nécessaire, mais sans application des fers ardents", petite phrase simple pour indiquer un fait capital dans l'histoire de la chirurgie. Il saborda ainsi l'un des plus célèbres enseignements d'Hippocrate "ce que le fer ne peut guérir, le feu guérira". Le blessé "rentrera en sa maison, gaillard, avec une jambe de bois, disant qu'il avait été quitte à bon marché de n'avoir été misérablement brûlé pour étancher le sang". Jean-Louis Faure écrira : "le voilà par un geste si simple entré dans l'histoire éternelle". Dans la littérature médicale, la ligature des vaisseaux est indissociable du génie d'Ambroise Paré, mais c dernier n'a pas revendiqué avoir imaginé cette technique, bien au contraire : dans une page parfaitement documentée, minutieusement détaillée, il cite tous les auteurs depuis Galien jusqu'à 1550 qui ont mentionné la ligature, mais il faut préciser qu'indiquer ne veut pas dire pratiquer : c'était une tradition livresque non appliquée, mais il rendit à l'Antiquité ce qui lui appartenait. Dieu était toujours près de lui : sur le champ de bataille il prodigua ses soins à un blessé, laissé pour mort, dont on avait déjà fait "caver" la fosse ; "il le panse jusqu'à la cure, et Dieu le guérit". Mais la guerre lui est un grand tourment, elle le dégoûte, il appelle la diabolique artillerie "une dommageable et pernicieuse invention" et oppose à cette suggestion du diable une découverte d'inspiration divine : l'imprimerie. Un jour, il raconte : "étant à Turin, j'entrai dans une étable pour loger mon cheval : là je trouvais quatre soldats morts et trois qui étaient appuyés contre la muraille, la face entièrement défigurée, et ne voyaient, n’entendaient, ni ne parlaient, et leur habillements flamboyaient encore de la poudre à canon qui les avait brûlés. Les regardant avec pitié, il survint un vieux soldat qui me demanda s'il y avait un moyen de les pouvoir guérir. Je dis que non. Subit, il s'approcha d'eux et leur coupa la gorge doucement et sans colère. Voyant cette grande cruauté, je lui dis qu'il était un mauvais homme. Il me fit la réponse qu'il prierait Dieu, afin que, s'il était accoutré de telle façon, il se trouva quelqu'un qui lui en fit autant, à fin de ne pas languir misérablement". C'était l'accompagnement de fin de vie que l'on ne contestait pas. Chapitre 5 : Les révolutionsLa saignée a vécu tant de siècles qu'elle mérite un grand couplet, avant de relater les véritables révolutions. Pendant des millénaires elle a fait couler autant de sang que les guerres. Elle permet d'évacuer le mauvais sang, le sang corrompu : c'est un des plus ancien arts de soigner qu'a connu l'humanité. Cela consiste à extraire du sang d'endroits déterminés du corps en ouvrant des veines, avec des variantes comme appliquer une ventouse sur des scarifications. Les Arabes avant l'islam connaissaient de mode de traitement. A sa venue, le prophète Mohammed a approuvé, pratiqué et conseillé l'usage de cette technique thérapeutique. Il a dit "S'il y a quelque chose de véritablement guérissant parmi toutes vos médications, c'est bien la saignée par ventouse." Les universités de médecine andalouse enseignaient aussi cette technique, elles l'ont transmise à l'ensemble du monde européen. On a retrouvé en Syrie un automate de 1315, destiné à mesurer la quantité de sang prélevée lors d'une saignée. Le fonctionnement de cette machine repose sur le principe des corps flottants qui transmettent un mouvement : un liquide qui se déverse dans un récipient fait remonter le flotteur, provoquant la descente d'un contrepoids qui permet la mesure du sang écoulé. C'est surtout du XVIe au XVIIIe siècle qu'elle est une pratique extrêmement et exagérément répandue, véritable panacée. Au Moyen Age, l'activité principale des médecins est de disserter en latin sur les maladies. A d'autres d'agir selon leurs prescriptions : aux apothicaires de fabriquer les mixtures idoines, aux barbiers d’effectuer les saignées, transformant leur rasoir en bistouri, faisant le signe de croix sur la veine qu'ils se proposaient d'ouvrir en prononçant "au nom de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie". On retirait 8 à 16 onces de sang (une once=30 grammes), chez l'enfant on comptait une once par année d'âge. La saignée guérissait tout, y compris la mélancolie, excès de bile noire", en ouvrant la veine entre l'index et l'annulaire. C'était même une mesure hygiénique chez les bien portants. L'anesthésie en tant que savoir est très ancienne. Le terme provient de deux racines grecques qui signifient priver et sensibilité. Depuis l'aube des temps on cherche à atténuer la douleur qui entrave le geste chirurgical. A défaut d'y parvenir, c'est la patient qu'on entravait pour éviter des gestes brusques qui pouvaient faire dévier le bistouri qui se voulait salvateur, le remède devenant pire que le mal. Le vin était souvent utilisé dans l'Antiquité, on le retrouve en Inde et chez les Arabes. - Hérodote (-480 à -425) né dans une colonie grecque actuellement turque, grand voyageur, rapporte que les vapeurs de chanvre indien brûlé comme de l'encens induisent un état d'oubli. C'est le premier anesthésiant par inhalation.
- Padianus Discoride (40 à 90) herboriste et pharmacien grec, en suivant les armées romaines, décrit que du vin issu de la mandragore, combiné avec du cannabis ou de l'opium, peut induire une anesthésie, ou du moins une absence de sensation, sans doute un euphémisme, chez les soldats allant subir une cautérisation de leurs blessures. On utilisait une éponge naturelle, "soporifique", que l'on appliquait sur le visage du blessé. On utilisait aussi un simple tissu, imbibé d'herbes anesthésiantes, au travers duquel il respirait. Ces écrits ne furent connus qu'au XIIe siècle en Italie lorsqu'ils furent rapportés par les croisés.
- Galien nous rassure en disant que la douleur est inutile à ceux qui souffrent, il utilise lui aussi l'alcool et la mandragore avant toute chirurgie, "cela ne procure pas d'insensibilité complète, sauf à forte dose, où les drogues blessent le cerveau, le malade pouvant alors trépasser", sans l'aide du chirurgien. Tout a été essayé avec des succès souvent limités voire encore plus dangereux que le chirurgien : la saignée, l'eau froide, la compression des artères à destinée cérébrales qui provoque une perte de connaissance par défaut d'irrigation du cerveau, un coup de marteau en bois sur un casque en cuir qui protège la tête du futur opéré...
- Saint Hilaire (315-367) évêque de Poitiers exilé en orient par l'empereur romain Constantin décrit "des drogues berçant l'âme envers le sommeil, mais si le dosage est inapproprié, l'âme peut se réveiller dans un autre monde. En effet, si le rêve pouvait être doux, le réveil pouvait être rude, pire que la "gueule de bois".
- Avicenne loue le cannabis mais reconnaît que l'opium est le plus puissant des stupéfiants, mais que la perte de conscience pouvait ne pas être réversible.
- Arnaud de Villeneuve (1238-1310) enseigne à Montpellier les différentes potions et leurs modes d'administration qui "rendent le malade si insensible à la douleur qu'il peut être coupé et ne rien sentir, comme s'il était mort". La réalité dépassait parfois l'intention. Il échappa de peu au bûcher pour hérésie. Sa recette fut pourtant "améliorée par le frère dominicain Théodore de Lucce qui ajouta du jus de laitue, du lierre et de a cigüe.
La transfusion sanguine a une histoire mouvementée qui a engendré des bienfaits mais aussi bien des malheurs par incompatibilité ou lorsque le sang est contaminé. Le sang est considéré depuis la plus haute antiquité comme le symbole même de la vie. Galien pensait et a transmis pour des siècles que les veines transportent le sang vers les extrémités pour y apporter la vie, mais il n'en revenait pas ! Si les veines gonflaient c'est qu'un mauvais esprit s'y était installé et seule la saignée pouvait le déloger. Le génie d'Harvey, au XVIIe siècle, balaiera ces erreurs, non sans difficultés. En 1492 le pape Innocent VIII a subi le premier "traitement par cellules vivantes" en buvant le sang de trois garçons de dix ans, trois fois par jour. Les enfants exsangues mourront, suivi de peu par le pape. Source : les métamorphose de Chirurgia, par André Santini
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| | | Bastien
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| Sujet: Re: Fatras HRP de textes historiques Sam 8 Sep - 15:55 | |
| 5°) La Savoie et le phénomène de cour Pour être empêtrée dans sa ruralité, la Savoie du XVe siècle n'échappe pas au phénomène. C'est que, depuis des siècles, la maison de Savoie évolue au niveau des cercles européens les plus huppés. Dès le XIIe siècle, Adelaïde est femme de roi, Berthe épouse d'empereur. Au siècle suivant, Béatrice de Savoie, qui règne sur les cœurs et les esprits de Provence, sera mère de quatre reines. En cette fin de moyen-âge, la culture de cour bénéficie en Savoie de deux circonstances favorables : d'une part la principauté des Alpes accueille comme princesses des filles élevées au plus proche des scènes les plus brillantes de la courtoisie européenne, en France et Bourgogne ; d'autre part, c'est dans la Savoie du XIVe siècle que le monde chevaleresque trouve en Amédée VI l'une de ses figures les plus achevées - et les plus accomplies, car il est, dans les années 1360, le seul prince d'Occident à répondre au pape Urbain V appelant à cette croisade qu'en 1366 il mènera brillamment. Qu'il soit un des premiers chevaliers de la chrétienté, en témoigne encore sa fondation de l'un de ces ordres de chevalerie dans lequel le XIVe siècle a sélectionné une super-élite, en une sorte de garde privilégiée au service des intérêts terrestres du Dieu du ciel. S'il n'a pas le prestige de l'ordre de la Jarretière anglais, ni le faste de la Toison d'or bourguignonne, l'ordre du collier d'Amédée VI, que l'on dira plus tard de l'Annonciade, fait figure de proue dans le Sud européen. La cour de Savoie n'a pas surgi d'un coup en ce XIVe siècle. Mais c'est bien par l'association de la princesse française Bonne de Bourbon et du comte-chevalier Amédée VI qu'elle trouve sa véritable configuration. Et c'est par le curieux partage des pouvoirs entre la veuve d'Amédée, Bonne, et son fils Amédée VII, imitateur de son père, qu'elle trouve son lieu d'élection, Ripaille. Enfin, c'est sans aucun doute dans les quelques années qui suivent l’installation de Bonne à Ripaille et précèdent la mort du comte rouge que se régule au mieux cette cour de Savoie. C’est au plus proche du drame qui faillit l’obscurcir à jamais que Ripaille brille de son plus vif éclat. Et c'est à Bonne de Bourbon que revient le soin d'assurer la bonne marche de cette cour, qui ressemble à une de ces cours de France dont elle est issue. Elle est la véritable patronne de l'hôtel, dont la mission est d'assurer le quotidien de plusieurs personnes qui y vivent, et, pour nombre d'entre les, y travaillent. Tâche d'autant plus délicate que ce beau monde, à partir de sa base de Ripaille, se déplace de châteaux en châteaux, qui ont en commun d'avoir été longtemps davantage des forteresses que des lieux de résidence. Quand bien même, à l'intérieur des places fortes d'importance on a séparé le logis du casernement, les salles d'habitation y sont resté des salles aux murs nus, au mieux partiellement habillées de bois. Le mobilier y est rare. Des bancs, des escabeaux comme siège, les tréteaux servent de table. Peut-être quelques armoires, mais, pour le rangement, avant tout et pour longtemps encore, le coffre, le meuble primordial, une véritable maison dans la maison, nous dit P. Dubuis. La nuit, quelques bois de lit accueillent une paillasse en guise de sommier, et de frustes matelas - pour les plus huppés seulement, la botte de paille n'étant pas réservée à la litière des chevaux. Le froid est maître, derrière ces murs aux fenêtres le plus souvent étroites, et la grande affaire, lorsque la cour prend ses quartiers, c'est bien de réchauffer cet environnement. Notamment en recouvrant de paille les sols de terre battue ou de mauvais dallage. Au XIVe siècle, il est vrai, les murs se couvrent de tapisseries qui réchauffent en même temps qu'elles égaient. Mais pas davantage que le mobilier lorsqu'il vise au confort (ciels de lit, oreillers, couvertures...), ces tentures ne sont à demeure. A chaque déplacement, les nombreuses bêtes de somme acheminent les chambres et la salle, c'est-à-dire l'ensemble des éléments qui vont décorer les appartements privés et la salle de réception. Et puis, seconde entrave à ce que cette vie-là soit vraiment une vie de château, la lumière, dans ces bâtiments austères, ne pénètre gère. Même si, parfois, des châssis tendus de toile huilée laissent filtrer une lueur qu'interdisent les volets de bois, seuls obstacles contre les caprices de l'air ambiant. La nuit tombée, seul le feu de quelques rares cheminées et de maigres luminaires-torches autorisent des déplacements autrement qu'au jugé de l'habitude. Le Ripaille de Bonne déjà tranchait sur ce monde du froid et de l'obscur. Ce devait être une résidence moins massive et moins sévère, plus éclairée aussi. N'empêche, cette nouveauté hardie peine à se dégager du poids de la tradition. Il faut attendre 1391, à la veille de son abandon, pour que Ripaille se dote, mais c'est un exemplaire unique, d'une grande cuve de bois destinée au bain de la jeune maîtresse, Bonne de Berry. Nul doute cependant, n'eut été la brutale interruption consécutive à la mort d'Amédée VII, le caractère de Ripaille comme la résidence favorite de la cour de Savoie se serait au fil des années affirmé. Comme se serait affirmé son confort. A moins que... les finances n'aient pu suivre. Bonne n'est-elle pas conduite à envisager, dès 1390 - les travaux ont vidé les caisses - un plan draconien de réduction des dépenses ? C'est que la cour est forcément dispendieuse. L'hôtel doit assurer le quotidien non seulement du souverain, des membres de sa famille, de leurs proches et compagnons, de leurs serviteurs et secrétaires, mais de l'ensemble des services par qui fonctionne le château : ceux qui nourrissent (cuisiniers et leurs aides, bouteillers spécialistes des boissons, gens de la panèterie), ceux qui s'occupent des animaux (gens de la maréchalerie au très important service des chevaux, fauconniers et braconniers ou veneurs), ceux qui s'occupent des vêtements et du linge (gens de la chambre), ceux qui soignent le corps (médecins barbiers, apothicaires), ceux qui soignent l'âme (le chapelain et ses clercs), ceux qui distraient (musiciens, ménétriers et trompettes), ceux qui transmettent ordres et pensées du maître (estafettes, hérauts) ; auxquels s'ajoutent les gens d'armes (chevaliers, écuyers) ; et puis les conseillers du souverain, notamment les membres du conseil itinérant, car la cour est aussi et peut-être avant tout le lieu ou se fait la politique. De là, beaucoup de gens de passage, de visiteurs, et des négociateurs aux quémandeurs, riches et pauvres. Tous ces gens qu'il faut nourrir, souvent vêtir, et rémunérer en salaires, gages, cadeaux, donc, gratifications, aumônes. Source : Le siècle de Ripaille (1350-1450), par Bernard Sache (consultable sur google books) | |
| | | Bastien
Messages : 26 Date d'inscription : 28/07/2011
| Sujet: Re: Fatras HRP de textes historiques Sam 22 Sep - 14:19 | |
| 6°) Les unités militaires en Savoie au Moyen-Age Chapitre III : De la bannière, ou escadron, de SavoiePendant que le Piémont était livré agitations de l'anarchie féodale, la Savoie, plus tranquille et plus heureuse, avait une noblesse aussi illustre et moins puissante, qui ne connaissait pas les factions qui divisaient celles de l'Italie. Les premiers états des enfants d'Humbert faisant partie de l'ancien royaume de Bourgogne, dans lequel les empereurs d'Allemagne avaient succédé, comprenaient outre la Savoie une assez grande étendue de pays, qui à différentes époques a depuis été réunie à la France ou la Suisse. Cet état considérable par lui-même était rendu plus puissant encore par les fréquentes querelles des ducs de Bourgogne et des Dauphins, qui le bornaient du côté de la France, et par la bienveillance des Empereurs qu'on avait su se ménager. La nombreuse noblesse que renfermait la Savoie ne connaissait d'autre profession que celle des armes ; et dans un temps où la cavalerie était la seule arme que l'on estimât, la bannière de Savoie fut le corps le plus important de nos armées ; cependant, malgré la juste célébrité dont il a joui, il est difficile de rien prononcer de bien définitif sur la nature de se formation. L'escadron de Savoie ne comprenait pas toute la cavalerie féodale, puisque plusieurs seigneurs avaient le droit de lever bannière en delà comme en deçà des Alpes ; mais était-il composé des seuls vassaux directs qui n'avaient pas ce droit ? était-il formé par les gentilshommes qui marchaient comme volontaires à l'armée (1) ? ou enfin la bannière de Savoie n'était-elle que l'assemblage de toutes ou d'une partie des bannières féodales, qui en se réunissant sous la cornette blanche ne formaient qu'un seul corps ? C'est ce qu'on ne saut décider ; l'on peut seulement dire avec quelque assurance, que quoique la cornette blanche fût chez nous ce qu'était en France l'étendard royal, ceux qui marchaient sous la cornette de Savoie n'étaient ni des gentilshommes volontaires réunis pour l'action seulement, ni des pensionnaires obligés par leurs appointements de suivre le Prince à la guerre. S'il nous était permis de hasarder un avis sur un fait douteux, je serais assez porté à croire que l'escadron était composé de la partie de la cavalerie féodale que l'on appelait à l'armée, qu'elle fut ou non formée en bannière. (1) Lorsqu'en 1355 Amédée VI conduisit en France quatorze bannières au secours du roi Jean, un nombre de seigneurs le suivirent comme simples volontaires dans cette expédition Ce point d'histoire pourrait devenir le sujet d'une trop longue discussion ; cependant, quelle qu'ait été la première formation de l'escadron de Savoie, on sait qu'il était composé de gentilshommes et de leurs suivants ; les premiers étant seuls armés de toutes pièces et portant lance ; les suivants, archers ou arbalétriers, n'avaient ni armure complète, ni chevaux bardés ; ils combattaient à pied tout comme à cheval ; cependant les deux premiers rangs n'étaient jamais formés que de lances (1), et chaque lance devait avoir au moins quatre suivants ; plusieurs gentilshommes en conduisaient huit, et jusqu'à douze, de sorte que l'escadron de Savoie, ayant été fort quelquefois de seize cent gentilshommes, l'on y compta plus de sept mille archers ou arbalétriers. Il arrivait néanmoins rarement qu'on rassemblât tout le corps en même temps ; mais soit qu'il marchât en entier ou en partie, le commandant de l'escadron, le commissaire général et le porte-cornette blanche s'y trouvaient toujours avec un nombre de capitaine et de lieutenants. Monsieur le marquis de Breil, auteur d'un mémoire sur notre cavalerie, parle des suivants qui faisaient partie de l'escadron de Savoie comme s'ils avaient été écuyers, et il les appelle même de ce nom ; il paraît néanmoins que les suivants étaient proprement ce qu'on nommait ailleurs satellites, ordre subalterne à celui d'écuyers, en ce que ceux-ci ne suivaient que la noblesse revêtue de la chevalerie, étant souvent nobles eux-mêmes, tandis que les premiers n'étaient que les domestiques, ou les serfs, des seigneurs. (1) Nous avons été les premiers en Italie à appeler du nom de lances les cavaliers qui étaient armés, on les nomma ailleurs barbute, jusqu'à l'arrivée des aventuriers anglais de messire Albert, en 1361. C'étaient les satellites qui composaient la cavalerie légère sans cesser d'être réunis à leurs patrons ; aussi cette cavalerie n'avait-elle pour lors aucune forme fixe, ni aucun officier particulier ; elle ne commença à jouir de quelque considération qu'après que les Albanais, sous le nom d'estradiots, eurent prouvé de quelle utilité pouvait être une cavalerie en état de profiter des avantages que cette arme reçoit de sa célérité ;ce ne fut même qu'à cette époque que l'on commença à séparer les satellites des pesamment armés ; bientôt après les argoulets, les carabins et les chevau-légers se formèrent dans toutes les armées, à l'imitation des estradiots ; on les organisa en compagnies, et on chercha à leur donner une constitution durable : mais la haute noblesse en général continuait à ne servir que dans la cavalerie pesante, et la cavalerie légère ne fut presque composée que d'étrangers ; nous aurons l'occasion de faire la même remarque en parlant de la première infanterie de ligne. Étrange préjugé qui a prit à la fois chez tous les peuples ! On refusait de servir sa patrie aux mêmes conditions qu'on recherchait chez des nations auxquelles on ne devait rien. Quoique le goût de la chevalerie eût contribué à répandre ces funestes préventions, on ne peut disconvenir que la principale source n'en fût dans les principes mêmes du gouvernement féodal ; en effet, pourquoi vouer au mépris l'infanterie nationale lorsqu'on accordait tant de considération aux premiers aventuriers qui parurent sur le théâtre de la guerre pour y exercer des fureurs atroces ? Pourquoi ne pas songer plutôt à détruire ces dangereuses associations qu'à se les attacher ? Sans doute que la précipitation, en hasardant cette mesure, n'en calcula pas les suites ; mais n'eût-il pas été plus juste et plus sûr d'avoir des troupes qui, intéressées à la défense et à la gloire de la nation, l'eussent mieux servies ? Aussi dès que les gouvernements leur accordèrent par la suite des marques d'estime et de protection, elles ne tardèrent pas à s'en montrer dignes. Quoiqu'on ne trouve nulle part les ordonnances qui fixent la manœuvre de notre ancienne cavalerie, on ne doit pas douter qu'elles n'existassent, et si l'auteur de l'histoire de la milice française, qui n'a pas été plus heureux que nous dans les recherches qu'il a faites à ce sujet, croit pouvoir inférer que les ordonnances des ducs de Bourgogne étaient conformes à celles que suivaient les hommes d'armes en France, nous jugeons que notre cavalerie se réglait sur ces mêmes principes, avec d'autant plus de fondement que l'étroite liaison qui unissait les deux maisons de Savoie et de bourgogne semble ajouter du poids à cette conjoncture. L'armure de la bannière de Savoie ne nous serait pas plus connue que sa manœuvre, sans le procès fait aux Valaisans à l'occasion qu'ils désarmèrent les troupes qu'Amédée VIII faisait passer sur leurs terres pour marcher au secours des habitants de la vallée d'Ossola dans le Novarais ; quelques mots de cet acte, qu'une ancienne chronique nous a conservé, nous apprennent que les lanciers étaient armés de toutes pièces, et que leurs suivants portaient la dague et l'arbalète. Tels sont les détails que nous avons pu rassembler sur l'ancien escadron de Savoie. Chapitre IV : origine des milices des communes et des compagnies d'aventuriers.Les vassaux ne se conformaient que lentement aux variations qui survenaient dans l'art militaire, dont ils n'avaient d'autre notions que celles que l'expérience pouvait leur donner ; or, comme ils ne restaient jamais longtemps de suite aux armées, cette expérience ne leur en fournissait que de bien imparfaites ; les préjugés, les haines, et les jalousies des différents seigneurs s'opposaient au reste à des progrès, que leur ignorance rendait très difficiles ; c'est ce qui fit qu'on ne tira jamais qu'un faible parti de leurs forces, d'ailleurs assez considérables, puisque les vassaux de la maison de Savoie étaient au nombre de sept mille (1). Cependant au sein de l'anarchie féodale il s'était formé une nouvelle milice par l'institution des communes ; Daniel prétend que ces communes naquirent chez les Français ; mais elles existaient en Italie avant que Charles le gros les eût introduites dans ses états. (1) M. le comte Galli n'en compte que 4465, auxquels il en rajoute 1412 pour les provinces dernièrement réunies ; peut-être la différence de temps produit-elle la différence de calcul Au reste il est constant que l'espèce de milice à laquelle elles donnèrent lieu était préférable à la milice féodale, du moins par rapport à l'infanterie ; et sans aller chercher des preuves à cette vérité dans l'histoire étrangère, les villes libres du Piémont en offrent d'incontestables, puisque c'est principalement par ce moyen qu'elles acquirent une supériorité marquée sur des voisins, d'ailleurs bien plus forts qu'elles ; ne vit-on pas Asti, qui n'avaient en 1200 d'autres remparts qu'une forte haie, arrêter une armée entière, et figurer parmi les premières puissances d'Italie ? Cette petite république étonna encore d'avantage par la guerre qu'elle fit en 1273 contre les Français, et les Provençaux, auxquels elle enleva la plus grande partie de ce qu'ils possédaient en Piémont ; sa hardiesse en attaquant quelques temps après l'armée française sous Albe même ; le courage que ses troupes montrèrent à la suite de leurs premiers revers ; et la victoire complète qu'elles remportèrent enfin, donnèrent à la république d'Asti une telle réputation que les villes de Quérasque, de Savillan, d'Albe et de Coni secouèrent le joug pour se joindre à elle. Alexandrie avait figuré d'une manière aussi brillante dès les premières années de sa fondation, lorsqu'en 1174, n'étant encore entourée que d'un fossé et d'un parapet de gazon, elle brava les efforts de l'empereur Frédéric, dont toute la puissance vint échouer contre ces faibles remparts. Les princes sentirent les avantages qui devaient résulter pour eux de l'institution des communes, puisqu'elles pouvaient seules contrebalancer le pouvoir inquiet des vassaux ; ils reconnurent enfin que la puissance du gouvernement est nécessairement liée à la force de la nation, et les formes municipales s'introduisirent dans les états souverains ; l'on vit des communes dans ceux des comtes de Savoie, des princes de Piémont, des marquis de Montferrat et de Saluces, ainsi que sous la domination des évêques : les communes devaient au souverain le service militaire, comme les vassaux ; celle de chieri fournit à Amédée VIII, en 1396, cent lances, ayant chacune deux suivants, cinquante arbalétriers, et trente hommes d'infanterie (3). Le nombre des soldats, leur armure, et le temps du service était convenu ; mais les Princes trouvaient beaucoup plus de facilités dans les communes que chez les seigneurs ; Mondovi par exemple, qui ne devait que trente jours de service, et dont les soldats ne pouvaient être employés à plus de trente milles loin de la ville, et Fossan dont la milice n'était tenue à marcher qu'à cinquante milles pendant quarante jours, se prêtèrent cependant au désirs de leurs souverains ; et leurs troupes les suivirent souvent partout durant les campagnes entières ; les corps municipaux se croyaient heureux d'acheter par quelque sacrifice le droit de vivre hors du joug de la féodalité; ils trouvaient d'ailleurs aisément des soldats dans leur sein par les avantages et les privilèges dont jouissaient les familles qui les fournissaient. La bourgeoisie naquit de l'institution des communes, et ce fut d'entre les bourgeois qu'on tira d'abord les officiers de la nouvelle milice, avant que les privilèges accordés aux habitants des villes y eussent attiré une partie des seigneurs qui vivaient dans leurs châteaux, et avant qu'un nouvel ordre de noblesse, moins guerrier, moins ignorant que le premier, y eut pris naissance. La milice féodale conserva néanmoins la prééminence sur celle des communes : on comptait la première par le nombre des bannières, la seconde par celui des hommes qui la composaient ; et ces deux troupes formaient seules l'infanterie, lorsqu'on vit paraître les premières compagnies d'aventuriers. Leurs capitaines, malheureusement trop connus dans l'histoire d'Italie sous le nom de Condottieri, étaient également craints et recherchés ; ils firent en effet plus d'une fois tourner la chance du côté où ils se jetèrent ; mais les désordres auxquels ils se livraient désolaient également l'ami et l'ennemi ; et ces hordes composées de la lie de toutes les nations (1) faisaient payer cher leur courage à ceux mêmes qui achetaient leurs bras. Cette institution avait d'abord été assez sagement concertée. C'était une milice stipendiaire, composée pour la plus grande partie d'étrangers servant sous des chefs connus et sûrs. La fidélité du commandant garantissait celle de la troupe ; et les Princes en tiraient le double avantage d'avoir des guerriers aguerris et indépendants de leurs vassaux. Cependant cette milice, en se répandant, en très peu de temps de corrompit, presque dès sa naissance ; par tout un grand nombre d'hommes, dont la bravoure était la seule qualité, coururent se ranger sous les drapeaux de différents chefs qui leur promettaient des aventures et de l'argent ; bientôt ils remportèrent un avantage décidé sur l'infanterie jusqu'alors connue, qui, n'étant ni disciplinée ni aguerrie, ne leur résistait point, et ils furent recherché partout avec empressement ; partout l'on apprit trop tard que les suites d'un remède dangereux sont souvent pires que le mal même ; ces associations devinrent terribles pour les gouvernements qui les avaient favorisées ; les désordres d'une telle institution se firent surtout sentir en Italie, quoi qu'elle y fut connue plus tard qu'ailleurs ; car il paraît qu'avant la moitié environ du XIVe siècle il n'y avait dans ce pays que la milice nationale dépendante des gouvernements ; ou si, dans le cas d'un péril pressent on soldait quelquefois des bandes étrangères, elles ne formaient que la moindre partie des armées, et elles étaient toujours commandées par des généraux italiens, depuis que des princes de leur nation portaient la couronne impériale. Tolomei Tanni de Pise fut le premier qui en réunissant toutes ces bandes en forma une compagnie, en 1332 ; bientôt après Lodrisio Visconti conduisit contre les seigneurs de Milan le nouveau corps qu'il appela la compagnie de de Saint-George ; le capitaine Mallorba, commandant une partie de cette troupe, dévasta la province d'Ivrée jusqu'à ce qu'il fut complètement défait par les forces réunies des différents états du Piémont ; celles de Savoie eurent la plus grande part à cette action, qui dissipa entièrement ces aventuriers ; néanmoins de nouvelles compagnies se formèrent de leurs débris, elles trouvèrent de puissants appuis en Italie, où ces mercenaires étaient trop utiles aux partis les plus faibles de ceux qui divisaient continuellement les villes libres, ainsi qu'aux usurpateurs qui cherchaient à s'établir sur leurs ruines, pour ne pas y être accueillis ; par ce moyen tout homme qui avait de l'argent trouvait des soldats, et avec des soldats et de l'argent, il s'assurait une influence despotique, dictait les lois, et s'érigeait en souverain. (1) Filii Belial, guerratores de variis nationibus, non habentes titulum On reproche avec raison aux villes libres d'avoir adopté les premières cet usage dangereux qui s'accrédita en raison de l'état de décadence où se trouva la milice nationale ; d'autre part ce nouveau système acheva de faire tomber le reste de la discipline militaire ; l'on s'attacha partout durant la guerre quelques unes de ces compagnies, et l'on ne combattit plus qu'avec elles. Leur nombre s'étant ainsi fortement augmenté, on les vit exercer impunément le plus affreux brigandage, et les noms seuls de Fra Moriale, du comte de Lando, de la comtesse de Ricort, d'Annichin de Bongardo, de Jean Arcut, de Robert Canole, d'Améric Cavalet, de Messire Albert remplirent de terreur toute l'Italie ; le Piémont vit Facino Cane sortir du Montferrat, et faire contre la volonté de son prince une guerre cruelle au duc de Savoie. En 1350, Amédée VI ayant congédié les troupes qu'il avait pris à sa solde pour la guerre contre le Dauphin, la plus grande partie de ces soldats mercenaires passa les monts sous la conduite de Robert del Pin, et du capitaine David ; beaucoup de brigands s'étant joints à eux, ils s'emparèrent de l'abbaye de Staffarda au marquisat de Saluces, et ils désolèrent le pays des environs ; leur violences ne furent heureusement pas de longue durée, car le comte de Savoie les ayant forcés dans leur retraite en fit pendre les chefs, et dispersa entièrement la troupe. Les guerres de Lombardie et de Montferrat y rappelèrent de nouveau les aventuriers ; en 1369 la compagnie du comte de Lando, s'étant engagée dans cette querelle, traversa le Piémont en s'abandonnant partout à de terribles excès ; en 1361 le marquis de Montferrat toujours en guerre avec le Milanais alla lui-même chercher en Provence la compagnie anglaise de Messire Albert, et celle de Gascons, ou de Normands que la comtesse de Ricord avait formée, et qu'elle commandait en personne ; ces deux troupes, après avoir cruellement foulé notre frontière, servirent avec les plus brillants succès ; Albert surtout se couvrit de gloire à la prise de Castelnovo ; mais le marquis ne pouvant continuer d'avantage les frais de leur entretien, elles furent congédiées ; les aventuriers anglais et gascons avaient d'abord songé à traverser de nouveau le Piémont pour rentrer en France ; mais ils changèrent ensuite de projets, soit que les précautions qui avaient été prises pour empêcher leur retour leur fissent juger cette route trop difficile, soit que la proposition que les Pisans leur firent de dix mille florins par mois pour les attirer à leur service eût tenté leur avarice. La plus grande partie de ces aventuriers prirent le chemin de la Toscane, pendant que trois cent chevaux sous les ordres d'Alphonse De Torres et du maître de Have s'engagèrent sous les drapeaux de Frédéric de Saluces qu'ils servirent jusqu'au moment de la paix que ce prince conclut avec le comte de Savoie. De Torres quitta alors le Piémont pour se rejoindre à Albert, non sans causer les plus grands dommages aux provinces de Tortone et Plaisance ; avant que d'y passer, il fit une invasion dans le Canavais ; Robert Canole, fameux partisan anglais, qui commandait ce détachement, s'ampara des châteaux de Pavon, de Saint-Martin et de Rivarol, dont il fit l'entrepôt du riche butin qu'il amassait chaque jour ; la province entière fut sujette à ses concussions ; Amédée VI lui-même, s'étant laissé surprendre dans le château de Lans, paya une rançon de quatre-vingt mille florins d'or aux féroces brigands qui l'assiégeaient. Cette manière de se débarrasser d'eux était faite pour les rappeler de nouveau en Piémont, aussi les y vit-on reparaître quelques années après, aux ordres de Jean Arcut. Tant de plaies saignaient encore lorsque la guerre d'Amédée VIII contre Théodore II marquis de Montferrat nous amena de nouveau malheurs ; Aimar de Souvrat, capitaine d'une troupe d'Auvergnats, passa les Alpes en 1395, s'empara de Santena et de Castelguelfo, d'où il infestait tellement les grandes routes qu'il fit cesser toute sorte de commerce ; ces désordres continuèrent jusqu'à la paix de 1398 ; se voyant alors sans soutien, et au moment d'être accable par toues les forces piémontaises réunies, les aventuriers de Souvrat marchèrent sur deux colonnes pour repasser les Alpes. La première prit le chemin de la Savoie, comptant traverser le Dauphiné, dont on prétendit en vain lui barrer la route, la noblesse dauphinoise ayant été complètement battue. La colonne qui se jeta sur le marquisat de Saluces n'eut pas le même bonheur, elle fut entièrement défaite dans les gorges des montagnes ; les aventuriers y périrent presque tus par la main des paysans irrités, qui s'enrichirent de leurs dépouilles ; cette journée dut être aussi importante qu'utile, puisqu'on en conserva le souvenir par une fête perpétuelle dans tout le marquisat. La fortune que faisaient les aventuriers étrangers tenta quelques Italiens, qui formèrent des compagnies nationales ; leurs premiers succès firent naître à d'autres le désir de suivre leur exemple, et leur nombre devint si grand qu'on put se passer des Allemands, des Bourguignons, des Français ou des Anglais dont on s'était servi jusqu'alors. La gloire de relever la milice italienne, qui semblait devoir être réservée aux soins des gouvernements, fut ainsi l'ouvrage de quelques hommes, moins passionnés pour la gloire, que séduits par la cupidité ; mais l'on ne tarda pas à s’apercevoir de la nouvelle faute que l'on avait commise en laissant exécuter à des particuliers ce que l'état aurait dû entreprendre, car nos condottieri devinrent les tyrans de leur patrie, et les désordres ne cessèrent qu'après la mort du trop célèbre César Borgia. Le Piémont fut pourtant moins inquiété depuis que les troupes étrangères y eurent perdu leur influence ; cependant, en 1458, Archambaud d'Asbach, chef d'une compagnie d'aventuriers gascons, désola encore nos plaines, après s'être emparé de la personne d'Honorat de Lascaris, comte de Tende, et de Louis Bolleri, seigneur de la vallée de Sture, qu'il livra au duc de Savoie leur ennemi commun ; d'Asbach espérant peut-être par ce service important la protection de ce prince, se fortifia dans le château de Rossane, où il s’abandonna au métier de voleur ; mais ses excès allèrent si loin, que le duc de Savoie crut ne pouvoir les tolérer d'avantage, le fit attaquer par ses troupes, et l'ayant forcé dans sa retraite, après une défense opiniâtre, le fit pendre avec cent des siens. Source : Histoire militaire du Piémont, tome 1, par Alexandre de Saluces (1818) | |
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