Arrivée de l'héritier de Montjoye

Tout le long des murailles s'avançaient en saillie quelques tours circulaires. Parmi l'aménagement sommaire de celles-ci, quelques loyaux soudards du Sire de Montjoye surveillaient les abords immédiats de l'enceinte de la demeure ancestrale entre deux tours de jeux de dés. Le serre-gens, visiblement ivre ce jour là, ronflait à grand bruit sur la muraille de l'entrée principale, jambes pendantes dans le vide au travers des mâchicoulis. La herse était relevée et nul ne s'opposa à l'entrée de la troupe du fils prodigue au sein de la grande cour intérieure. On ouvrit les portes.

La voiture d'Adrian arriva alors au sein d'une cour paisible, et l'héritier put y croiser quelques poules noires qui picoraient ici ou là entre les bruns cailloux et les dalles de pierre, d'autres chiens joueurs, langues dehors et bave aux lèvres, entouraient peu à peu les visiteurs en laissant échapper de leurs gueules sympathiques quelques aboiements de bienvenue.

Arrivèrent prestement les zélés valets de la Maison, qui se chargèrent de conduire Messire Adrian et son fidèle Gino à l'intérieur de la bâtisse principale de la place forte, tout en prenant en charge les effets personnels encombrants, et offrant les soins de rigueur aux montures épuisées ainsi qu'aux autres membres de la colonne bourguignonne. Les deux hommes furent donc aiguillés au travers de sombres couloirs jusqu'à une robuste porte de chêne qui grinça sur ses gonds en se laissant ouvrir.





Ce fut finalement le vieux fou de Sénéchal, Messire de Seyssel, qui réceptionna enfin les deux visiteurs de Bourgogne dans l'antichambre menant au Donjon familial. La pièce était vaste, sa décoration se voulait modeste et fonctionnelle, bien qu'on pouvait y apprécier la présence de quelques raffinements parmi lesquels une fresque de tapisseries contant l'histoire des hauts faits et conquêtes de Messire Louis de Montjoye, le défunt grand père d'Adrian reposant désormais en le caveau d'Avignon.

Le brave Sénéchal se fit remarquer par son habituel oeil mauvais, ainsi que sa voix terriblement grave.

" Messires, vous avez devant vous Bohémond de Seyssel, dernier rempart du Sire de Montjoye. "

Il sourit, mais les sourires de Seyssel, n'avaient rien de rassurant.

" Qui dois-je annoncer au Maître ? "

Là, Bohémond apperçut les armoiries du Baron de Viviers, bien que sa vue n'était plus ce qu'elle fut autrefois. Il se leva de son fauteuil et s'inclina finalement d'un geste respectueux, mais de regard toujours aussi menaçant.

" Je vous prie de m'excuser Excellence, si j'avais su que le fils de Messire Raoul nous ferait l'honneur d'une visite, j'aurai ordonné que l'on fasse le ménage. "

Il rit d'un rire gras, avant de s'activer à ouvrir la dernière porte, celle qui s'ouvrait enfin sur le Salon des invités. La salle était de dimensions égales à la précédente, mais cette fois-ci plus richement décorées. Le jeune Montjoye fut confortablement installé par le vieux Sénéchal. Ce dernier sembla tirer une corde dans un coin, celle-ci faisant irrémédiablement sonner une cloche dans le bureau de son Maître qui en général ne tardait point à faire son entrée à son tour en ces cas là.

Bohémond, offrit au jeune homme de lui servir un remontant ou autre apéritif, mais au delà de la politesse, c'était surtout une occasion pour lui de se servir également. Seyssel était définitivement incorrigible.

" Vous avez une préférence en matière de beuverie Excellence ? "

Le vieux Sénéchal fut estomaqué dans un premier temps en entendant vociférer ainsi le jeune Damoiseau, et ses joues s'étaient un tantinet empourprées par une montée de colère difficile à contenir pour le fier Messire de Seyssel. Il était bien rare que l'on osât lui manquer de politesse de telle manière et il en avait occis des plus gros animaux pour bien moins que cet affront là, mais il s'agissait du légitime héritier de son suzerain et il allait à son grand dam devoir ravaler son orgueil pour ce soir. Un chevalier de sa trempe n'allait toutefois point se laisser écraser aussi facilement.

" Bien... il en sera fait selon vos désirs, vous saurez donc trouver le salon s'il vous est familier, mais je crains fort que le Duc ne soit point encore céans. Je suis le Chevalier Bohémond de Seyssel, retenez bien ce nom Lionceau, car Messire votre père risquerait bien de me confier le soin de parfaire votre éducation. "

Ses lèvres se fendirent d'un sourire narquois de vieux loup, assorti néanmoins d'une tentative de clin d'oeil se voulant sympathique en guise de bienvenue dans la Maison. Bohémond avait passé sa vie à combattre pour la Maison de Montjoye, du temps de Raoul mais déjà lorsque le défunt Louis portait encore les armes de la famille le jeune Seyssel avait été son écuyer. Il faisait partie des meubles, le Sénéchal, et savait qu'il était intouchable en temps que loyal conseiller du Duc.

Pendant ce temps, la jeune Vicomtesse avait préparé convenablement le salon et s'attendait à une rencontre mouvementée avec le jeune homme, tandis que Raoul se faisait attendre, rentrant à peine de la chasse et apercevant avec surprise le carrosse aux armes bourguignonnes ainsi qu'un second équipage pour le moins inattendu...