Mémoire d'outre tombe - dernière lettre du seigneur Dolmance Larose

Citation :

Mon Cher Raoul,
Mon Fils,
Mon Frère,

J'ai remis au Hasard le soin de te porter cette missive. J'espère que lorsqu'elle voudra te trouver tu seras en bonne santé.
Moi, je serai mort, depuis surement beaucoup de temps.
Saches que j'ai beaucoup de peine à mourir ici, loin de toi. J'aurais aimé te revoir, vous revoir tous avant que de passer.

J'ignore la trace que l'on gardera de ma vie. Je crains que celle-ci ne soit guère brillante. J'ai pourtant voulu faire de mon mieux dans un monde qui ne voulait rien connaître de mon avis. J'aurais eu le privilège d'au moins distraire quelques uns. Mais gardera-t-on mémoire de l'homme que j'étais ?
Je pars sans le vouloir en fait, même si je me donne la mort moi-même. Je me damne peut être en faisant cela, mais il me semble que je suis déjà perdu pour ce monde-ci.

Tu m'as donné de précieux présents : de l'amitié, du soutien lorsque j'en avais le plus besoin, de l'espoir pour mes projets fous. Ils me restent au cœur comme des marques gravées dans un roc qu'aucune tempête de feu n'éroderait.
Je vais mourir, mais si je meurs avec ces beaux souvenirs en tête, je mourrai heureux.

Pardonne donc à ton vieil ami de mourir loin de ses terres, de se laisser oublier, de mourir dans l'infamie la plus noire.

J'ai eu mon lot de peines, je fus trahi bien plus que je ne fus parjure. Je quitte ce monde maintenant pour risquer d'avoir plus de regret que de bonheur.

Ne parle point de cette missive, peu de monde en recevront, et si la Savoie n'a pas voulu retenir mon nom pourquoi devrait-elle le retenir lorsque mes os ne seront plus que poussière.

Sois heureux Raoul, ne quitte point le chemin que tu t'es fixé. Marche sans t'arrêter, piétine ceux qui ne bouge point. Ne te fais cependant pas plus d'ennemi que tu n'as d'amis.

Je te lègue un bien piètre héritage, mais c'est ce qui me reste. Alors vois cela comme un souvenir de moi.

Je clos cette lettre, qui demeurera sans réponse, du moins pas de réponse que j'aurai moi-même le loisir de lire. L'amitié cependant, elle, jamais ne s'éteindra.

Le Très Haut guide tes pas,
Avec tout l'amour qu'on peut avoir pour un ami très cher,
Adieu,

D.H.G. Larose de Séez

Cette lettre d'outre tombe apportée par les bons soins du professeur Woland von Selenios longtemps après la disparition tragique du borgne était accompagnée d'une édition rare de la traduction du Décaméron de Giovanni Boccaccio dit Boccacce, qui dés lors était devenu le livre de chevet de Messire Raoul, exposé ensuite dans un coffre de la bibliothèque comme souvenir de jeunesse...


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